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les organisations ouvrières se tournent alors contre eux. Mais ils ne sont que des adversaires occasionnels : l’ennemi, c’est le propriétaire, et les socialistes ne voient dans l’abolition du métayage, qu’ils poursuivent avec tant d’ardeur, qu’un moyen d’isoler la propriété, pour l’attaquer ensuite plus aisément.

On voit dès à présent, et il apparaîtra mieux encore par la suite de cette étude, qu’au regard du socialisme agraire, le métayage joue à peu près le même rôle en Italie, qu’en France la petite propriété : il est l’obstacle, la cause des malentendus et des difficultés. Comme en France le propriétaire paysan, le métayer en Italie n’est ni un capitaliste, ni tout à fait un ouvrier. Tour à tour, selon les circonstances, le socialisme le flatte et le menace, affecte de le protéger et le sacrifie. Mais, alors que le paysan français ne s’est trouvé exposé, jusqu’à présent, qu’à l’influence médiocrement efficace d’une propagande d’idées, le métayer italien, dans ces dernières années, s’est vu en butte aux attaques les mieux concertées et les plus violentes ; isolé, boycotté, lésé dans ses intérêts, réduit même parfois à craindre pour sa personne et pour celle des siens, il a commencé à faire des concessions, sacrifiant des droits certains et des prérogatives traditionnelles aux impérieuses exigences des ouvriers organisés. Et la question de l’expropriation du sol, qui ne fut jamais agitée chez nous qu’en termes vagues et théoriquement, vient d’être posée, dans une des régions les plus riches et les mieux cultivées de l’Italie, sous une forme précise et pressante. Après les grèves agricoles de Parme (1908) et celles de Ferrare (1909), les troubles qui ont éclaté au printemps de 1910 dans la province de Ravenne ont révélé clairement chez les agitateurs syndicalistes l’intention d’entraver l’exercice du droit de propriété, de le réduire à des limites de plus en plus étroites, jusqu’à rendre ce droit lui-même inefficace et illusoire. Les luttes dont la Romagne est actuellement le théâtre empruntent sans doute aux mœurs locales et aux circonstances politiques leur caractère particulier d’acharnement et de violence : elles n’en offrent pas moins, dans leur origine même et dans leur développement, un exemple concret de la méthode et des procédés par lesquels les partisans du socialisme agraire s’essayent à réaliser la réforme que leur doctrine préconise ; et c’est par là qu’elles méritent de retenir l’attention.