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Quelques jours plus tard, M. Delcassé, devenu ministre, tenait à répéter, dans la discussion de son budget, la même note optimiste. Mais désireux d’échapper à la critique, il l’appuyait, cette fois, d’une comparaison avec l’Allemagne. La situation navale, somme toute, est rassurante, disait-il en substance, puisque le programme prévu nous donne, en 1920, vingt-deux dreadnoughts, autant que les Allemands.

Malheureusement, la réalité, sans justifier les alarmes excessives contre lesquelles M. Delcassé entendait protester et qui risqueraient de mener au découragement, ne permet pas d’admettre sans correctifs l’idée d’une véritable égalité de forces, qui semblerait résulter de cette constatation. C’est en 1920 que doit s’achever notre programme ; en 1919, l’Allemagne aura rempli le sien, si elle ne l’a dépassé. Elle s’est réservé toutes facilités pour l’accroître de deux grosses unités par an à partir de 1913. Ne le fit-elle pas, que les chiffres à considérer pour définir la situation militaire différeraient de ceux qui ont été présentés à la tribune par M. Delcassé. Ce sont, à vrai dire, vingt-huit dreadnoughts allemands qui s’opposeraient aux vingt-deux nôtres ; sans compter, contre nos sept vieux ou médiocres croiseurs cuirassés, quinze cuirassés rapides, dénommés croiseurs eux aussi, mais égaux en puissance à des cuirassés véritables, bien que secondaires. Au total, notre programme prévoit, en 1920, vingt-huit unités de ligne ; le programme allemand en produit, en 1919, cinquante-huit au moins. Et si la seule comparaison de ces chiffres, trop sommaire à bien des égards, peut paraître plus menaçante que de raison, elle s’éloigne moins sans doute de la réalité que le calcul optimiste de tout à l’heure.

Dès lors, une question se pose : Quel danger offre une semblable disproportion ? L’autorité personnelle et ministérielle de M. Delcassé, son ardent patriotisme, le retentissement de sa double affirmation de confiance en soulignent l’intérêt. Rappelons-nous que le programme naval va être discuté par les Chambres. C’est le moment d’y porter attention.

Laissons donc de côté tout ce qu’on pourrait dire par ailleurs sur nos raisons de désirer une marine de premier ordre. Oublions notre empire colonial, le second du monde ; négligeons l’importance de nos placemens à l’étranger, le souci de notre commerce et de notre influence, nos traditions, le prix même que la force mouvante de nos flottes peut donner à notre