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« Qu’importent les victoires navales si nous perdons la bataille sur la Moselle ! Après cette unique bataille, dont le succès emportera tout, le sort de la guerre sera instantanément, irrévocablement fixé. » On ajoute encore : « et les pertes que sur mer nous ferions subir à l’ennemi ne serviraient qu’à grossir, à la conclusion de la paix, la note des frais réclamés par le vainqueur. »

Le capitaine de vaisseau Amet, professeur à l’Ecole supérieure de marine, a, dans une conférence à la Ligne maritime française, fait justice de ce double sophisme. Pour ne pas enfler la « note à payer » d’un vainqueur éventuel, pourquoi ne pas économiser, à terre aussi, le sang de ses fantassins ? Parce que la violence, qui risque d’accroître le poids de la défaite, peut seule d’autre part la détourner de nous, la rejeter sur les épaules de notre agresseur. En est-il donc autrement de la violence exercée sur mer ? Nullement.

Notons, d’abord, qu’en aucun cas la modération du vainqueur n’est probable. La guerre devient surtout un moyen employé par les peuples pour s’enrichir : elle travaille pour l’avenir ; elle ira jusqu’au bout des intérêts. Nous vaincus, on exigerait tout ce que notre situation ou l’intervention des neutres permettrait d’exiger ; il s’agirait d’empêcher à jamais que nous nous relevions comme après 1870. Ce serait la saignée à blanc. Que la victime ait ou non résisté, que ses escadres aient ou n’aient point fait des dégâts, il n’importe. La guerre à laquelle il faut nous attendre, c’est la loi du plus fort, sans plus.

La vraie méthode consiste à riposter assez vigoureusement, assez tôt pour mettre l’ennemi hors d’état de dicter ses lois. Mais si la bataille est perdue ! s’écrie-t-on, tout autre effort devient alors inutile. Illusion, découragement préalable que rien n’excuserait. Une guerre ne consiste pas en une bataille unique, la bataille, pas plus aujourd’hui qu’autrefois. En 1870 même, il en fallut plusieurs pour nous paralyser. L’exemple de la dernière lutte armée, celle de Mandchourie, nous montre au contraire la possibilité de chocs successifs à six semaines et plus[1] d’intervalle, entre les mêmes forces et avant que soit terminé un seul acte du grand drame militaire : et il est de sa nature un drame en plusieurs actes. Ecoutons encore le commandant

  1. Kaïping, 14 juin 1904 ; Liao-Yang, 25 août ; le Cha-ho, 14 octobre ; Keigantal, 26 janvier 1905 ; Moukden du 19 février au 15 mars 1905.