Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nature, qui multiplie la puissance de l’unité humaine par rapport aux choses et par rapport aux autres hommes moins bien armés, c’est l’accumulation sur un même point, sous le contrôle d’un même individu, des valeurs et des poids. Le matériel est un capital fixe dont le prix va croissant avec son efficacité. Cela s’applique aux armées comme aux industries. Mais le même matériel se complique à mesure qu’il se perfectionne, et sa perfection consiste à étendre le nombre, la puissance, la masse des organes soumis à la main d’un seul homme et gouvernables par lui.

Or la mobilité des troupes à terre se trouve incompatible avec le développement des machines pesantes. Il faut passer à travers champs, franchir les ruisseaux et les fondrières, ménager les routes. Les poids sont limités, La mer, au contraire, porte tout aisément. Mieux encore : l’énormité des bateaux, donc des machines, des organes, des canons y est favorable à la production économique des constructions navales, à leur rendement militaire, à la mobilité des escadres par tous les temps, à leur emploi et à leur sécurité. Rien qui ne pousse dans la voie de la concentration mécanique, rien qui ne favorise l’évolution industrielle. Et là, sur l’Océan vide, point d’avantage de terrain qui puisse compenser une infériorité de mécanisme. La marine de guerre est le triomphe de l’industrie scientifique.

Il y a peu de jours que les journaux ont publié le récit d’expériences sensationnelles poursuivies depuis quelque temps par l’amirauté anglaise. Il s’agit de donner au commandant d’un cuirassé le pouvoir vraiment merveilleux de pointer et de tirer lui-même, du haut de sa passerelle, tous les canons enfermés dans les tourelles du navire. Les expériences ont réussi. La généralisation de ce rêve extraordinaire, qui semble inspire par quelque Jules Verne, n’est plus qu’une affaire de mois. Voilà où en est le mécanisme naval.

Il ne saurait que progresser. Plus nous irons, plus l’utilisation des forces physiques et intellectuelles du marin, dans ce règne de la force meurtrière, l’emportera sur celle du soldat terrestre.

Dans la discussion du dernier budget anglais, M. Mac Kenna relevait ainsi le progrès accompli, en passant du type King-Edward au type Dreadnought : le poids de projectiles envoyé par minute, divisé par l’effectif de l’équipage, donne en moyenne,