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I

Frédérique Brion était la fille du pasteur protestant de Sesenheim, village situé à une trentaine de kilomètres au Nord de Strasbourg sur la rive gauche du Rhin. Ce digne ecclésiastique avait épousé la fille d’un régisseur du baron de Duerckheim et donné le jour à dix enfans, dont cinq seulement atteignirent l’âge adulte : un fils du nom de Christian, le dernier né de la famille, et quatre filles, dont Frédérique était la troisième. Celle-ci naquit en 1751 ou 1752 à Niederroedern où le pasteur Brion exerça quelque temps son ministère avant d’être transféré à Sesenheim en 1760.

Le jeune Wolfgang Gœthe poursuivait en Alsace ses études de droit lorsqu’il fut présenté à ces braves gens par un camarade au mois d’octobre 1770. Le soir même du jour où il regagna Strasbourg après cette courte villégiature, le 14 octobre 1770, il écrivait à l’une de ses correspondantes : « J’ai passé quelques jours à la campagne, chez des gens bien agréables. La société des aimables filles de la maison, ce joli pays et ce ciel souriant ont remué dans mon cœur des sentimens trop longtemps assoupis, y réveillant le souvenir de tous ceux que j’aime. » Et à Frédérique Brion elle-même, il s’adressait le lendemain en ces termes : « Chère nouvelle amie, je n’hésite pas à vous donner dès à présent ce nom. Si en effet je me connais le moins du monde en fait de regards, j’ai trouvé dans le premier de ceux que nous avons échangés l’espoir de cette amitié que j’invoque à présent, et je jurerais que nos cœurs vont se comprendre. Comment donc, bonne et tendre ainsi que je vous connais, ne seriez-vous pas un peu favorable à qui vous aime autant que je le fais ?… Chère, chère amie, que j’aie en ce moment quelque chose à vous dire, cela n’est aucunement douteux en vérité, mais que je sache au juste pourquoi je vous écris dès à présent et ce que je voudrais vous écrire, c’est une autre affaire ! En tout cas, certaine agitation que je ressens me fait juger à quel point je voudrais me sentir encore près de vous. Un petit morceau de papier devient une consolation sans égale en pareil cas : il me fournit une sorte de cheval ailé qui me permet d’échapper à ce bruyant Strasbourg, comme vous le tenteriez vous-même dans votre calme retraite si seulement vous déploriez l’absence de vos amis… etc. »