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plus de Frédérique après 1771 ; il ne dit rien des relations amicales qui subsistèrent entre les deux jeunes gens après leur séparation et l’on ignora longtemps encore la lettre si décisive à Mme de Stein, dont nous avons traduit les principaux passages. On put donc facilement supposer, à cette heure, que Frédérique avait eu tout le sort de Gretchen (à l’infanticide près qui l’eût conduite sur l’échafaud comme l’héroïne du drame) et c’est dans cette opinion qu’il faut sans nul doute chercher la source principale des rumeurs malveillantes dont nous allons rencontrer désormais trop de traces.


V

Vers 1820, la renommée de Goethe grandissant toujours avec les années jusqu’à poser de son vivant un nimbe d’apothéose autour de son front olympien, Sesenheim commença d’attirer quelques pieux pèlerins poétiques ; on assure même que les Anglais, précurseurs-nés de tous les autres touristes, y firent leur apparition dès cette époque. Dans l’été de 1822, le modeste village reçut un visiteur de quelque distinction. C’était un professeur de philologie à l’Université de Bonn, du nom de Naeke, savant fort estimé de ses collègues et fanatique admirateur de Goethe. Dans quelques pages qui ne furent publiées que vingt années plus tard, il consigna le récit de cette excursion alsacienne, dont il conçut le projet après avoir applaudi à Mannheim une représentation de Faust : « Ma visite à Sesenheim, écrit-il, avait une double raison d’être : je voulais relire sur place l’aventure de jeunesse que Goethe vécut en ces lieux, et, d’autre part, je souhaitais de me renseigner autant que possible sur les destinées ultérieures de son amie. Quant à ce dernier point, et depuis quelque temps déjà, j’avais recueilli certaines rumeurs que je vais résumer en deux mots. A Strasbourg aussi bien qu’aux environs de cette ville, on s’accordait, semble-t-il, à fort mal parler de Goethe, qui aurait abandonné non seulement l’aimable Frédérique, mais encore un fils qu’elle avait conçu de lui quelque temps avant son départ, en sorte que ce fils dut exercer pour vivre le métier le plus humble, celui de garçon pâtissier. » Le professeur ne manifeste d’ailleurs aucune surprise devant une si grave accusation, tant il y fut préparé par le spectacle de Faust.