Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sesenheim, la relation entre les deux textes apparut à tous les yeux par leur date et aussi parce que Gœthe ne fait que paraphraser dans sa réponse un passage du texte de Naeke où ce dernier parle du rayon qui passa par réflexion de la jeune imagination du grand poète dans sa propre fantaisie respectueuse et dévotement réceptive. Eclairé de cette lumière nouvelle, le ton du morceau de Gœthe plongea dans la stupéfaction ses admirateurs, car ce nouveau témoignage d’ « Olympisme » dépassait tous ceux qu’il avait fournis jusque-là aux pieux historiens de sa vieillesse. — L’un d’eux se vit réduit à proposer cette invraisemblable hypothèse : pressé par ses occupations de toutes sortes, Gœthe n’aurait lu que les premières lignes du manuscrit de Naeke et ignoré par conséquent la double accusation contre Frédérique qui s’étale dans ces pages naïves. Mais cette version nous paraît insoutenable après lecture attentive du texte de Gœthe dont nous avons souligné les allusions aux révélations de Naeke. Un critique d’opinion avancée, le professeur Teuffel de Tuebingen, hégélien d’extrême-gauche, se montra plus sévère : non seulement il stigmatisa l’égoïsme du grand homme rassemblant pour ainsi dire avec négligence les débris de la réputation anéantie de Frédérique pour réfléchir dans ce miroir rompu sa débordante personnalité littéraire, mais encore il proclama qu’à ses yeux, le silence du séducteur sur le point capital du document qu’on lui avait fourni était un aveu tacite de sa propre faute, de cette paternité coupable dont le pasteur de Sesenheim avait vainement tenté de le décharger !

Il n’est nullement besoin, pour expliquer l’attitude de Gœthe, de cette dernière hypothèse que nous avons déjà plusieurs fois réfutée par la lettre de 1779 à Mme de Stein. Cette attitude n’a pas en effet de quoi surprendre grandement les lecteurs bien renseignés sur son compte, ceux qui connaissent l’incroyable épanouissement de sa personnalité vers la fin de son existence. Dans une correspondance récemment publiée en Allemagne[1], nous avons trouvé ces lignes significatives sous la plume de Charlotte de Stein elle-même, de Charlotte aigrie par l’âge, il est vrai, et longtemps irritée par l’abandon de son illustre ami avant de reprendre avec lui sur le tard des relations de simple convenance : « il y a huit jours, écrit-elle dès 1806 à

  1. Briefe an Fritz V. Stein. — Rohmann. Leipzig, 1907, p. 117 et 250.