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vaniteux jusqu’au délire, natures riches jusqu’à l’exubérance, mais mal équilibrées, auxquelles manquent le jugement, la patience et le bon goût : tels un Restif de la Bretonne, un Fourier, un comte de Saint-Simon. Sans parler d’une foule d’autres ouvrages, Mercier a écrit force pièces de théâtre : avant de publier ses idées, il aimait à les essayer sur ses auditeurs. C’est lui, par exemple, qui définit le monde : « un vaste théâtre dont les hommes sont les comédiens ; le hasard compose la pièce, la fortune distribue les rôles, les femmes accordent des rafraîchissemens aux acteurs, et les malheureux font rouler les décorations, portent et mouchent les chandelles ; » lui qui établit cette distinction plaisante : « L’honneur d’une fille est à elle, elle y regarde à deux fois ; l’honneur d’une femme est à son mari, elle y regarde moins. » De lui aussi ce vers qui dut charmer les belles actrices de la Comédie :


Le cœur qui n’aima point fut le premier athée !


Lebrun- Pindare excelle dans l’épi gramme, mais il a rencontré un rival digne de lui. Ayant lancé à Baour-Lormian ce lardon :


Sottise entretient la santé :
Baour s’est toujours bien porté,


Ce dernier le fait quinaud avec cette riposte :


Lebrun de gloire se nourrit ;
Aussi voyez comme il maigrit !


Et, à la grande joie de la galerie, quatrains, sixains, tombent comme grêle sur Lebrun, lorsqu’il s’avise d’épouser sa servante, mettons sa gouvernante.


Qui pourrait s’empêcher de rire
En voyant de Lebrun le vol audacieux
Se précipiter vers les deux,
Et tomber dans la poêle à frire ?


Encouragé par les bravos, Baour redouble et venge ceux que la verve satirique de Lebrun a flagellés :


Connaissez-vous ce vieux barbon,
Devant lui sans cesse en extase ?
Son goût est pur, son cœur est bon ;
Il a Marat pour Apollon,
La Montagne pour Hélicon,
Et sa servante pour Pégase.