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divine musique. L’émotion était à son comble, et Mounet-Sully se déclara converti au sentiment de Gounod. Celui-ci compléta son triomphe, en contant quelques souvenirs (car, lui aussi était un rare causeur, et sa parole avait presque le charme de sa musique) : il rappela sa boutade sur un opéra nouveau qu’il entendait pour la première fois, en compagnie d’une belle dame : « C’est de la musique octogone. — J’allais le dire, » approuva la dame. » Et il continua quelque temps, mais soudain l’avertisseur implacable vint crier à la porte du foyer : « En scène pour le deux ! (Le deuxième acte du Barbier de Séville.) Il fallut se séparer ; tous emportaient un souvenir de grâce, d’esprit et de grand art. Quand Gounod venait au foyer, raconte Febvre, « on manquait toutes les entrées ; s’il se mettait au piano, les entr’actes duraient plus que les actes. » Il demanda un jour à Rossini s’il avait connu quel homme était Beethoven : « Je l’ai connu. C’était un homme… qui n’aimait pas ma mousique ! Il était vieux, pauvre, complètement sourd, et habitait un faubourg de Vienne ; je fus le voir ; il me reçut mal… il n’aimait pas ma mousique !… Ah ! quel homme ! Le premier mousicien ! Le premier ! — Et Mozart ? — Oh ! celui-là… c’est le seul ! » affirma Rossini. Gounod avait fait sienne cette formule.

Mais, pour le présent, pour les quinze ou seize dernières années, il faut s’incliner devant l’opinion de M. Jules Claretie. « Le foyer, remarque-t-il, a beaucoup changé d’aspect. On cause moins au foyer de la Comédie ; le foyer a subi l’atteinte qui frappe les salons eux-mêmes. J’ai vu, un soir, — et j’ai dû faire prier le visiteur de se retirer, — un hôte du foyer en costume de bicycliste. Je n’en ai pas encore vu en vêtement de chauffeur… Si l’on jouait encore au foyer de la Comédie, l’on y jouerait au bridge. Des dames au bridge, c’est le progrès ou c’est la mode. Mais non, on ne joue plus au foyer de la Comédie, et l’on n’y cause presque plus. On y passe. A mesure que les tableaux s’y font plus nombreux, la conversation s’y fait plus rare. On n’écoute plus, on regarde… Il y a beaucoup de comédiennes qui, comme Mlle Contat ou Mme Brohan, tiendraient encore aujourd’hui l’emploi difficile de reine du foyer. Mais les mœurs ont changé. On reçoit plus volontiers dans sa loge qu’au foyer même. Les élèves du Conservatoire, autrefois relégués officiellement dans les galeries supérieures, se glissent au foyer où M. Got nous contait que, même les pensionnaires de la