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Et s’il meurt, — avec lui, par lui ce qui périt,
C’est le triomphe, c’est la gloire de l’esprit !…
Il court donc, car sur sa nuque, sur son épaule,
Il sent le souffle affreux du vengeur, qui le frôle ;
Il court, ne songeant plus qu’à léguer aux humains
Le larcin consolant qui réchauffe ses mains !


VII


L’aube pointait. C’était l’heure où le premier pâtre
Levait des yeux ravis vers l’orient bleuâtre.
Avec les premiers chiens qu’on eût apprivoisés.
Tout petits, comme des enfans, par des baisers.
Tout un troupeau bêlant, rassuré par l’aurore.
Suivait l’homme, non sans tâcher de fuir encore…
Et le voleur divin, que pourchassait un dieu,
Dit au pâtre en fuyant :

— « Tiens, prends !… Voici le feu !
Ce roseau plein de cendre en contient la semence.
Sache que, de ce jour, l’humanité commence…
Sauve le feu !… Les temps sombres sont révolus…
Allume les foyers qui ne s’éteindront plus ! »



VIII


Sur un mont formidable, à la plus haute cime,
La vengeance des dieux a cloué sa victime.
Le voleur merveilleux, le sauveur des humains,
Carcan au cou, des fers aux pieds, des fers aux mains,
Les bras en croix, couché sur le dos, est en proie
Au vautour qui lui ronge incessamment le foie.
Il meurt toujours ; sans cesse il renaît, puis remeurt ;
Là-bas l’humanité n’est plus qu’une rumeur
Lointaine… Elle est là-bas, sous ses pieds, dans la plaine.
Que fait-elle sons lui, la triste race humaine ?