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tout cœur aux fêtes que l’Italie organise en ce moment pour célébrer le cinquantenaire de son indépendance. Que de souvenirs glorieux s’éveillent, à ce propos, dans nos esprits ! Les pouvoirs publics chez nous, la Chambre, le Sénat, se sont associés aux sentimens de nos voisins qui, à leur tour, ne font plus d’opposition aux nôtres en Tunisie. N’est-ce pas le roi Victor-Emmanuel II qui disait que le temps était galant homme et qu’il arrangeait bien des choses ? Il permet, en effet, à la justice immanente qu’elles enferment de se dégager et de faire prévaloir les bonnes intentions. Nous avons le droit de présenter au monde notre protectorat tunisien comme une grande œuvre. Malheureusement, quand nous revenons en France, nous y trouvons de moindres sujets de satisfaction.


On sait à quel point l’état de la Champagne est troublé, et on commence à se rendre compte des fautes initiales qui ont causé cette perturbation. La Champagne a traversé plusieurs années médiocres ou mauvaises dont elle a beaucoup souffert, et ses souffrances ont même fini par atteindre un degré d’acuité d’où devait résulter un danger public ; alors, à ces maux très réels, on a appliqué un remède empirique qui devait en faire naître d’autres : nous voulons parler du régime des délimitations. Les vignerons de la Marne se sont mis dans la tête qu’ils étaient victimes de fraudes et que le meilleur, ou même le seul moyen de les supprimer était de décider que leur département était à lui seul la Champagne et qu’il serait interdit de faire du vin de Champagne dans aucun autre. En un mot, pour garantir la pureté de leur produit contre la fraude, ils n’ont trouvé rien de mieux que de revendiquer le monopole exclusif de sa fabrication. Cette pensée, très simple, n’est pas née seulement dans la Champagne, ou plutôt dans une partie de la Champagne ; elle est née aussi dans une partie du Bordelais, sous prétexte de protéger le vin de Bordeaux, et ailleurs pour protéger le vrai cognac. Où s’arrêtera-t-on dans cette voie ? Chaque produit régional demandera à être protégé au moyen d’une délimitation ; le fromage, les pruneaux, les fruits confits, les poulardes ne paraîtront pas moins intéressans que le vin de Champagne ou de Bordeaux : il ne restera bientôt plus qu’à rétablir les douanes intérieures que la Révolution a supprimées, et à leur donner un caractère prohibitif. Les protectionnistes les plus exigeans n’avaient songé jusqu’ici qu’à protéger les produits français contre les produits étrangers ; on va plus loin aujourd’hui, on demande de protéger les produits français contre d’autres produits