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le ministère. Que feront-ils ? Comment les choses tourneront-elles ? Comment l’apaisement renaîtra-t-il ? Il serait téméraire de vouloir le prédire. « Quand le peuple est en mouvement, dit La Bruyère, on ne comprend pas par où le calme y peut rentrer ; et quand il est paisible, on ne voit pas par où le calme peut en sortir. » Nous avons vu par où le calme peut en sortir, ne désespérons pas de voir par où il peut y rentrer. Nous serions même sûr de le voir bientôt, si nous avions un gouvernement.


Le nôtre, malheureusement, lorsqu’il n’est pas faible envers la démagogie, est complaisant et encourageant pour elle ; il ne quitte une attitude que pour passer à l’autre. Nous venons d’en avoir une preuve nouvelle dans la question des cheminots, qu’on pouvait croire résolue sous le ministère Briand, mais qui s’est trouvée posée à nouveau, et dans les pires conditions, dès que le ministère Monis a annoncé que le premier article de son programme serait « la bonté. » On disait autrefois qu’un homme d’État devait avoir le cœur dans sa tête ; nos politiciens actuels le placent beaucoup plus bas, et ils s’exposent par-là à créer des complications dont toute la « bonté » du monde ne les sauvera pas.

Les cheminots qui se sont laissé entraîner dans la dernière grève ne sont pas tous indignes d’intérêt ; mais d’autres intérêts que les leurs sont engagés dans l’épreuve qu’ils ont infligée au pays et dont il importe avant tout de prévenir le retour. Pendant la grève, l’opinion alarmée, indignée, les vouait aux dieux infernaux : le lendemain, beaucoup de ceux qui étaient pour eux le plus impitoyables ont éprouvé les sentimens si connus de Panurge après la tempête, et ils n’ont plus rêvé qu’oubli et pardon. Le gouvernement, à la première sommation qu’il en a reçue, a réintégré ses grévistes. Cela le regarde, il est maître chez lui ; mais les Compagnies sont maîtresses chez elles et elles ont le droit d’avoir sur les conditions de la discipline des idées différentes de celles du gouvernement. M. Briand l’avait reconnu. Sous la pression des élémens avancés de sa majorité, il était intervenu auprès des Compagnies pour obtenir d’elles la réintégration de leurs cheminots ; mais, devant leur résistance, il s’était arrêté et il avait déclaré à la Chambre qu’il n’avait aucun moyen d’exercer une contrainte là où la persuasion n’avait pas réussi. MM. Monis et Dumont ont cru qu’ils seraient plus persuasifs que M. Briand, ce qui était de leur part une grande prétention, et ils ont éprouvé un très vif dépit de s’être trompés. On verra dans un moment comment