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Évolution et Création. Non seulement il n’y avait pas antagonisme ; mais l’image du Créateur se rapprochait de moi ; elle grandissait prodigieusement dans mon esprit ; j’en éprouvais pour lui un respect nouveau et en même temps un effroi semblable à celui que l’on éprouve en appliquant l’œil à l’oculaire d’un télescope et en découvrant tout à coup dans le miroir, tout proche et énorme, l’astre que tout à l’heure on regardait, œil nu, dans le ciel. »

Avec de pareilles originalités et de pareilles audaces dans la pensée, il n’est pas étonnant qu’à un moment donné, ingénument, tout pénétré d’une naïveté qui charme en même temps qu’elle fait sourire, Fogazzaro ait écrit cette page où l’on voit face à face « le Saint » et un pape, le pape le plus étrange du monde, qui se fait tout petit devant « le Saint, » qui s’humilie devant lui, qui lui fait ses excuses, qui lui dit : « Toi, tu n’as à t’entendre qu’avec Dieu seul ; mais moi, j’ai de plus à m’entendre avec les hommes que le Seigneur a placés près de moi, pour que, assisté de leurs avis, je me gouverne selon la charité et selon la prudence… Vois ceci, par exemple, Jésus a payé le tribut à l’Etat et moi, non comme Pontife, mais comme citoyen, je payerais volontiers mon tribut d’hommages dans ce palais dont tu as vu les lumières [le Quirinal, le palais du roi d’Italie] si je ne craignais d’offenser par là soixante sur cent de mes écoliers… Il en serait de même si je faisais ôter de l’Index certains livres, si j’appelais dans le Sacré Collège certains hommes qui ont la réputation de n’être pas strictement orthodoxes… Et puis, je suis vieux, je suis fatigué, je suis malade… Prie pour moi ; prie le Seigneur de me donner la lumière. » Le Pape demandant la bénédiction de M. Fogazzaro, car au fond, c’est cela, il n’est pas très merveilleux que cela ait paru à Rome d’un catholicisme peu révérencieux ; mais quoi ? je vous dis que Fogazzaro est une âme délicieusement candide qui, forte de la sincérité et de l’ardeur de sa foi catholique, est protestante sans s’en douter et sans scrupule et n’a jamais rêvé, en toute droiture et en toute ardeur catholique, que de convertir le chef du catholicisme au protestantisme.

Et pourquoi non, et après tout, c’était son droit. Seulement, il aurait dû, ce semble, étant donné le double tour d’esprit que nous venons d’analyser sommairement, être un philosophe religieux, exposant sa doctrine, la précisant, ce dont peut-être