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LA FILLE DU CIEL. 23 de la Grande Délivrance,... et j’étais là, tranquille comme en ce moment,... plus souriante toutefois, prête à porter la coupe à mes lèvres; j’allais échapper à tout, m’en aller fière et intan- gible, dans ma parure impériale; les demeures souterraines où dorment mes ancêtres s’ouvraient là tout près, non connues de vos Tartares, et on avait le temps encore de m’y emporter... Mais, le devoir!... Oh! le devoir, paraît-il, était de fuir, et j’ai cédé... Et, jusqu’au jour où vos soldats m’ont prise, j’ai traîné longuement dans la campagne, aux avant-gardes de mes armées toujours vaincues, moi l’Impératrice ell’Invisible, me profanant au milieu des hommes, marchant devant eux comme une sorte de fille exaltée !... L’Empereur. — Dites que vous avez été l’héroïne sublime, la grande impératrice guerrière, la déesse des combats qui défiait les flèches et la mitraille, celle qui revivra éternellement dans les poèmes et l’histoire ! L’Impératrice. — J’ai cherché à racheter ma fuite, voilà tout; j’ai fait ce que j’ai pu, mais une action lâche ne se rachète pas. C’était dans mon palais qu’il fallait mourir, dans l’autodafé allumé de mes mains et qui a consumé tant de braves... Ma cendre mêlée aux leurs, c’était cela qu’il fallait... Le devoir, dites-vous?... Mais, j’appartiens donc encore à la Terre, vous croyez?... Mes villes sont détruites, mes armées sont anéanties, mon fils est mort... Et à cette heure, tenez, je le sais, là, au pied de votre grande muraille tartare, les tètes une à une tombent dans la poussière, les têtes de mes derniers fidèles... Alors, quel devoir, je vous prie?... [Elle retire le poignard de sa robe et tend le bras pour se frapper.) Celui-ci, rien que celui- ci !.<i. (L Empereur se jette sur elle avec un cri, r arrête en lui saisissant le poignet et jette le j)oignard à terre.) Ah ! vous portez les mains sur moi. à présent! L’Empereur, incliné, très bas. — Pardon !... Ecoutez-moi seulement ; vous mourrez après si vous voulez, je vous le pro- mets..., mais d’une façon plus douce..., pas comme cela avec du sang... Même je vous en fournirai les moyens, si vous voulez toujours... L’Impératrice, avec douceur tout à coup. — D’une façon plus douce!... Cela, je le veux bien... Le breuvage de la Grande Délivrance, nous autres souverains, nous n’allons point sans cela. "Vous l’avez aussi, n’est-ce pas?