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cette idée et s’appuient toujours sur ce sentiment. Un peu plus, — car il serait injuste s’il poussait jusque-là et l’auteur ne veut pas qu’il soit injuste, — un peu plus, Franco dirait à Louise : « Si vous n’avez pas une justice plus abondante que celle des Pharisiens… » Et il est vrai que Louise, dans son âme correcte, loyale et pure du reste, a quelque chose d’un peu pharisaïque.

De même Jeanne Dessales, dans la pensée de l’auteur, est constamment très au-dessous de Pierre Maironi-Benedetto. Elle l’aime passionnément et résiste obstinément à recevoir son influence religieuse. Ce n’est qu’au bout de cinq ou six ans, si je calcule bien, et ce n’est que devant Benedetto mourant qu’elle se convertit de la libre pensée au catholicisme. Je ne vois dans toute l’œuvre de Fogazzaro que l’Edith de Malombra qui soit supérieure intellectuellement et moralement (et dans la pensée de l’auteur) à l’homme placé en face d’elle dans le tableau. Je n’en vois qu’une qui soit présentée comme l’égale de l’homme placé en face d’elle, c’est l’Hélène de Daniel Cortis ; et Malombra et Daniel Cortis sont antérieurs à la trilogie.

On me dira : C’est que Benedetto est un saint, est un surhomme et Pierre Maironi, aussi, déjà, puisqu’il contient en lui le saint qu’il doit devenir. Oui, mais Franco n’est nullement un surhomme, n’est nullement donné comme tel, et Louise est donnée comme inférieure à Franco. Il y a bien, au moins à partir d’un certain moment, à partir, ce me semble, de la maturité de Fogazzaro, conviction que la femme est inférieure à l’homme, conviction au moins et surtout que la femme est moins capable que l’homme de profond sentiment religieux.

Je ne vois pas trop bien la raison de cette conviction. Peut-être y a-t-il une simple raison d’observation et d’expérience : les femmes qu’aura connues Fogazzaro étaient ainsi et l’ont intéressé précisément parce qu’elles étaient ainsi contre son attente. On sait combien l’observation du moraliste et du romancier est incertaine, à cause de ses limites. On a connu vingt personnes, bien, jamais plus ; et c’est de ces vingt personnes qu’on tire les types généraux d’humanité que l’on met dans ses ouvrages. La base est étroite. Et pourtant, c’est de l’observation personnelle qu’il faut tirer ses personnages ; sinon, ils sont abstraits et, en tant qu’abstraits, ils sont communs, ils n’ont pas d’originalité ; mais, s’ils sont tirés de l’observation personnelle, ils ont des