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Voilà, grâce au ciel, la vingtième fois que je me fais baptiser ; jamais on ne m’avait offert pareille souquenille. » Même si une concession de territoire accompagne le baptême, il ne faut pas trop s’y fier. Dudon raconte qu’Hastings fut ainsi quelque temps comte de Chartres, ce qui est bien douteux, mais voici qui est plus sûr. Un Gottfried obtient la Frise avec la main de Gisèle, fille du roi de Lorraine Lothaire. Il est dûment baptisé et marié par l’évêque de Liège, Francon, ce qui ne change rien à ses habitudes. Pour obtenir un résultat durable, il fallait d’autres conditions. Il fallait que les Normands fussent préparés à changer leur vie d’aventures contre une vie de bons propriétaires, et cette révolution mentale n’avait chance de s’accomplir que le jour où la vie d’aventures comporterait plus de mauvais risques que de bons. Il fallait en outre que l’opinion publique, c’est-à-dire celle des grands et des évêques, admît la nécessité de faire la part du feu en légitimant pour la limiter la spoliation commise par l’ennemi séculaire.

On n’en était pas encore là des deux côtés, au commencement du règne de Charles le Simple, comme l’atteste l’affaire Huncdeus. Ce chef normand, dont on ne sait rien et à propos duquel on a beaucoup discuté, remonte, avec cinq barques et 300 hommes, la Seine, l’Oise et parvient jusqu’à la Meuse. Charles le Simple l’appelle près de lui et le fait baptiser le jour de Pâques 897 à Klingenmunster (Palatinat). Jusqu’ici l’histoire n’a rien de sensationnel, mais il faut croire que Charles le Simple avait noué ou songé à nouer avec ce personnage un lien plus étroit, car nous avons une lettre fulgurante où l’archevêque de Reims, Foulques, accable de reproches le jeune roi dont il était un des plus fidèles partisans. S’il ne s’était agi que d’une conversion, il est évident que l’archevêque n’aurait eu rien à dire. Il était donc question de quelque chose de plus. La lettre parle très nettement d’une alliance projetée avec les Normands contre le roi Eudes, compétiteur de Charles le Simple : « Qui de vos fidèles ne craindrait, dit-elle, de vous voir ainsi rechercher l’amitié des ennemis de Dieu et vous servir des armes des païens, obtenues par une alliance abominable (fœdera detestanda), pour ruiner et détruire le nom chrétien ? » Charles le Simple, dont la situation de prétendant est alors très précaire, ne peut passer outre : son projet s’évanouit, et Huncdeus avec lui, car on n’en trouve plus trace. Cette mystérieuse disparition a intrigué. Les uns