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le montre ensuite s’emparant de Bayeux, épousant « à la danoise, » c’est-à-dire sans consécration quelconque, la fille du comte Bérenger, Popa, de laquelle naîtra Guillaume Longue-Epée. Tout cela n’a rien d’incroyable, mais restera douteux tant que nous n’en aurons pas d’autre garant. Or, nous n’en avons pas. Le seul document indépendant de Dudon qui fasse allusion au passé de Rollon est assez sibyllin. C’est une complainte sur la mort de Guillaume Longue-Epée. Nous y voyons bien que la mère de Guillaume était chrétienne, alors que Rollon ne l’était pas encore, ce qui s’applique à Popa, mais il est dit que l’enfant est né outre-mer (in orbe transmarino natus), ce qui ne laisse pas d’être déconcertant. On a retourné ce texte dans tous les sens pour lui faire dire ce qui ne s’y trouve pas, mais des conjectures, si ingénieuses soient-elles, ne font pas des preuves. Pour ceux qui tiennent à tout concilier, on peut suggérer que Guillaume serait né de Popa durant quelque expédition en Angleterre, comme en firent plusieurs bandes normandes à la suite de la mort du roi Alfred le Grand (901).

C’est seulement en 910 que recommencent les courses des Normands de la Seine dans l’intérieur de la France. Dudon nous fait de la campagne de cette année-là une relation à laquelle on ne comprendrait pas grand’chose si on ne la trouvait complétée par ailleurs. Les Normands pénétrèrent jusqu’en Bourgogne et nous en avons confirmation par des témoignages locaux. Ainsi nous savons par l’Histoire des évêques d’Auxerre que l’évêque d’alors, Géran, bat les Normands à plusieurs reprises. En outre, nous trouvons dans les Annales de Sainte-Colombe de Sens que le prévôt de l’abbaye, Betton, pose (25 mai 910) les fondations d’un mur de protection autour du monastère. Or, l’Histoire des évêques d’Auxerre nous apprend que Betton avait sollicité et obtenu du duc Richard l’autorisation de construire ce mur pour se préserver des Normands. Tout cela concorde admirablement. De là les Normands ont-ils poussé jusqu’à Clermont-Ferrand, comme le dit Dudon ? Ce n’est pas impossible, car nous savons que l’évêque de Bourges, Madalbert, fut tué cette année-là par les Normands. Bourges est sur la route de Clermont. Les Normands revinrent par Fleury-sur-Loire, aujourd’hui Saint-Benoît-sur-Loire, dont ils pillèrent l’abbaye. Un récit des « Miracles de saint Benoît » dit que leur chef s’appelait Renaud (Rainaldus) et qu’il mourut à