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quatre ans et demi après le mariage de ses parens. Admettons qu’elle fût l’aînée. Rien ne porte à le croire, car la liste, n’étant pas par ordre alphabétique, a des chances d’être par ordre d’âge. Mais admettons-le pour pousser à l’extrême l’esprit de conciliation. Si Gisèle est l’aînée, elle peut avoir trois ans et demi. On avouera que c’est peu, même pour un enfant prodige. La supposera-t-on fille naturelle ? D’abord, il n’existe aucune Gisèle parmi les quatre enfans illégitimes de Charles. Ensuite, la précision insolite du texte de Dudon, qui [insiste sur sa naissance « doublement légitime, » utriusque progenici semine regulariter exorta, exclut cette hypothèse. Supposera-t-on un premier mariage dont toute trace aurait disparu ? C’est bien difficile à croire, car Charles le Simple, devenu veuf, parlera souvent de Frédérune dans ses actes postérieurs, tandis qu’il ne fait jamais d’allusion à une première femme.

Mais, dira-t-on, il y a des exemples de mariages politiques comme celui-ci, conclus entre enfans en bas âge. En effet, on cite une fille de Louis le Jeune qui, à l’âge de six mois, est fiancée à un fils d’Henri Plantagenet, âgé lui-même de trois ans. Et le mariage eut lieu quand les deux époux avaient neuf printemps à eux deux. Un tel mariage est précoce, mais assorti. Ce n’est pas le cas de Gisèle et de Rollon. Sans connaître exactement l’âge de ce dernier, on peut affirmer qu’il a déjà passé la soixantaine, ne fût-ce que par cette considération qu’il dut, pour cause d’extrême vieillesse, s’associer son fils en 927, c’est-à-dire seize ans après l’époque où nous sommes. « Devait-il à cet âge, demande avec candeur le bon abbé des Thuilleries, un érudit du XVIIIe siècle, être déjà insensible aux charmes d’une jeune princesse, fille de son souverain ? » Nous ne nous engagerons pas sur ce terrain sentimental.

Si l’on tient à l’hypothèse d’un mariage ou d’un projet de mariage, il faut supposer au moins qu’il s’agissait d’un mariage entre Gisèle et le fils de Rollon, Guillaume Longue-Epée, lui-même fort jeune à cette date. Ce projet n’aurait jamais été exécuté, vu la mort prématurée de Gisèle que Dudon place vers 922. Cette conjecture a ceci de séduisant qu’elle impute à Dudon une erreur moins extraordinaire que celle qui consisterait à imaginer de toutes pièces le mariage de Gisèle et sa présence prolongée à la cour de Rouen ; mais ce n’est malgré tout qu’une conjecture. Nous en dirons autant du système qui attribue à Dudon une