Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/349

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perdu ! Entre les différens aspects que la physionomie présente, je crois que le sourire est le moins solitaire, celui qui demande le plus doucement l'accueil d'une amicale sympathie. Alors, tous ces visages qui m'entourent semblent implorer l'intelligence qui leur épargnera d'être isolés et relégués mortellement dans une absurdité apparente. Je me figure qu’ils souffrent de ne plus pouvoir communiquer la gaieté, une certaine gaieté, que leurs traits immobilisent. S'ils allaient ne plus être jamais compris ! Si leur était infligé le supplice et le ridicule de sourire ainsi, au long des âges dont la durée lente est le symbole de l’éternité !

Ah ! que veulent-ils, ces sourires qui viennent d'un temps si lointain ? que voulaient-ils, premièrement, avant de traverser le grand désert des siècles et de l'oubli, pareils à une caravane qui, en chemin, s'égarerait et qui arriverait trop tard en des cités où tout le monde serait mort à son attente ?… Se moquent-ils ? et de quoi se moqueraient-ils ? Ou bien, à qui, à quoi offriraient-ils leur gentillesse singulière ?…

Ce qui les amusa est mort.

Ces visages ne sourient pas, les uns et les autres, pareillement. Certains ont un air de plaisanterie ; d'autres sont graves ; d'autres marquent de la condescendance ou de la politesse.

Une Victoire, qu'on a déterrée à Délos et dont les jambes sont drôlement pliées pour la course rapide, sourit si joliment que les coins des lèvres haussent jusqu'aux pommettes des joues une ombre charmante ; et les yeux sont large ouverts. L'allégresse du triomphe éclaire tout le masque et l'on y voit le caprice, l'heureux hasard, la vive aubaine.

Dans une rangée de bustes éginètes, l'un est un chef-d'œuvre parfait ; un buste d'homme, fendu par le milieu ; et tout le côté droit n'existe plus. L'extraordinaire profil ! C'est un visage voluptueux et triste, aux lèvres charnues, souriantes et un peu lasses et qui ont gardé jusqu'à l'amertume la saveur délicieuse du plaisir ; c'est le visage d'un subtil amateur de la vie et qui en connaît tous les fins agrémens et qui est revenu des aventures qu'elle offre, mais y retournera, tout de même, en habitué qui sait qu'on le déçoit et s'y résigne, n'ayant pas trouvé mieux.

Je crois qu'il faut rattacher au même effort d'art une adorable tête de bronze, qui vient de l'Acropole et qu'on a placée dans une autre salle du musée d'Athènes. Elle n'a pas de nom.