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Le sourire y est un peu narquois et encore plus indulgent ; c'est le sourire d'un sage qui a fait, parmi les détours de la pensée, les mêmes voyages que l'autre sur les routes de la sensualité. Il n'en veut point à la pensée de l'avoir conduit un peu loin sans le contenter. Seulement, il n'est pas dupe.

D'autres sourires sont plus étranges, pour avoir été d'abord posés sur des tombeaux. Ils furent l'ornement paradoxal d'idées funèbres. Ainsi, la Sphinge de Spata, qui a une tête de femme, des ailes d'ibis et un corps de lion, sourit. Et elle sourit donc à la mort. Il y avait, précédemment, des sphinx en Assyrie et en Égypte. C'est en Grèce que cet animal bizarre est devenu un symbole funéraire, l'emblème aussi de l'énigme, — et les deux idées sont liées l'une à l'autre ; — c'est en Grèce qu'il a commencé de sourire. Alors, tout ce que les archéologues diront ne nous empêchera pas d'admirer ce sourire qui est l'allégorie du grand mystère.

Plusieurs stèles de la période archaïque ont le même sourire. Ainsi, le bas-relief célèbre qu'on appelle, je ne sais pourquoi, le soldat de Marathon et qui est bien antérieur d'un demi-siècle à cette bataille. Le sculpteur fut Aristoclès et, le mort, Aristion que voici, vêtu en hoplite et qui, à petits pas, s'avance par les chemins d'outre-tombe, souriant un peu. Ainsi encore une autre stèle, qui provient d'Orchomène et qui est l'œuvre d'Alxénor le Naxien. Cet Alxénor n'était pas très habile à travailler la pierre, à dessiner la ligne des muscles, à ménager le champ de la lumière et à répartir les nuances de l'ombre. Mais la stèle qu'il a signée est empreinte d'un charme ravissant. Le mort, un vieillard, s'appuie sur un long bâton qu'il tient, comme une béquille, sous l'aisselle. L'une des jambes passe devant l'autre. À ses pieds, il a son chien, jeune et joueur ; et de la main droite, pendante, il lui tend une sauterelle. Il incline la tête, regarde son chien, sourit avec mélancolie et rêve. Comment a fait le sculpteur peu habile pour donner à ce tableau modeste un attrait de poésie poignante, une grâce de soir qui tombe et de quiétude alarmée ? La fin d'une journée et la fin d'une vie se confondent en cette image, dont le sourire a la sérénité ambiguë des crépuscules.

Mais le plus étonnant prestige de la salle archaïque, c'est la ronde de ces hautes figures qu'on a désignées longtemps comme des Apollons et qu'il vaut mieux nommer les Kouroï, ou les