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honte, un opprobre et des maux qui ne sont pas terminés.

Elle entend parler du divorce possible de Buonaparte et ne doute pas qu’il ne songe à s’allier à une famille illustre et souveraine. « Il ne s’agit pas, bien entendu, de mes filles. Je les tuerais, dit-elle, plutôt que de les avilir et de m’avilir de la sorte. » Car, tout en faisant l’éloge des mérites et du génie de Bonaparte, elle l’appelle un « profond scélérat et un usurpateur. » Trois ans après, elle entend son propre gendre, l’empereur François, avouer qu’il lui donnerait volontiers une de ses filles, et six autres années seront à peine écoulées qu’elle verra l’archiduchesse Marie-Louise, sa petite-fille, devenir la femme de l’empereur Napoléon !… Elle aurait dû s’attendre à tous ces prodiges, puisque, le 8 janvier 1802, elle écrivait : « Buonaparte fera, en tout et partout, ce qu’il voudra et l’Europe entière se contentera de le regarder avec stupéfaction, en le laissant faire et disposer de tout à sa guise. » Quelque temps après, elle prédit qu’il sera roi d’Italie et s’inquiète de ses discours prononcés à la Cisalpine et de ses réticences sur Naples. Aussi bien, s’il arrive quelque malheur, ce sera la faute de ses sujets ainsi que d’elle-même. « Nous sommes Anglais de cœur et d’affection, et Français par peur et sagesse. Méprisés de tous les deux, nous perdrons certainement nos Etats. Nous serons chassés, sans avoir eu de quoi vivre ici à Vienne ni où aller. » Elle souhaite la mort pour elle et pour ses enfans. En y réfléchissant bien, elle préférerait le règne des Jacobins à celui « du cher et grand Napoleone. Les premiers, dit-elle, feraient des malheurs partiels. Celui-ci le fera général. »

Gallo lui fait part des complimens de Buonaparte. Elle n’y croit guère. Elle voudrait moins de flatteries et plus de réalités. Que n’a-t-elle une fortune médiocre et sûre pour pouvoir vivre tranquillement à l’abri avec ses enfans ? Elle prévoit les pires calamités. « Nous ne sommes pas assez grands ni assez puissans pour que le Premier Consul nous dévore tout de suite. Mais c’est ce qui arrivera lors de la première expédition au Levant ou en Egypte. » Elle apprend le résultat des opérations relatives au Consulat à vie et ne s’étonne pas du succès de Bonaparte. S’il reste modestement Consul perpétuel, il sera le plus puissant souverain de l’Europe, car seul il entend le difficile et ingrat métier de gouverner les hommes. Il a profité des délires de la philosophie pour s’élever, tandis que les monarques s’en sont