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furieux, paraît-il, et dans un état voisin de la démence. Tout est à craindre : abdication, nouvelle fuite à Palerme, déchaînement des hostilités. « Nous sommes trop vieux pour nous plier facilement à servir de marchepied au petit Corse ! » Les injures ont succédé soudain aux complimens.

Marie-Caroline s’indigne et s’affole de plus en plus. Elle dit que si Dieu laisse « le moderne César réussir dans sa descente en Angleterre, tout le monde sera sous le joug. » Elle sera alors la première à conseiller au Roi d’abdiquer en faveur de son fils en se réservant une forte pension. « Mais si Dieu, par sa miséricorde, faisait bien battre, ruiner, peut-être même tuer, — ce que je préférerais, — empoisonner le tyran du monde, alors on pourrait avec un roi, un Moreau, ou Sieyès ou un autre coquin, mettre la France dans ses justes limites et l’Italie, la remettre, afin que nos petits-enfans voient cette belle contrée florissante, et s’unissant, s’entendant entre eux, la rendent impossible à subjuguer. »

Elle ajoute que si la descente en Angleterre échoue, le règne de Buonaparte est fini, et c’est pourquoi elle ne peut s’imaginer qu’il osera la tenter. Le Premier Consul a répondu, le 28 juillet 1803, à la lettre où elle ne demandait qu’à lui témoigner une confiance absolue et parlait des sentimens pacifiques de son royaume : « Je prie Votre Majesté de rester persuadée qu’après lui avoir fait beaucoup de mal, j’ai aussi besoin de lui être agréable. » Il reconnaissait qu’il était de la politique de la France de consolider la tranquillité chez ses voisins et d’aider un Etat plus faible dont le bien-être était aussi utile au commerce français. « Mais comment Votre Majesté veut-elle que je considère le royaume de Naples dans ses rapports géographiques et politiques, lorsque je vois à la tête de toutes les administrations un homme étranger à son pays (le chevalier Acton) et qui a centralisé en Angleterre ses richesses et ses affections ? Cependant le royaume se gouverne moins par la volonté et les principes du souverain que par ceux de son premier ministre. » Il lui donne ainsi la véritable raison qui justifie toutes ses mesures prises envers Naples : c’était la présence du favori Acton, dévoué aux Anglais. Mais Marie-Caroline, qui avait peur des desseins de Buonaparte, croyait Acton nécessaire à sa politique personnelle, parce que celui-ci était l’ami du Cabinet anglais dont Naples recherchait l’appui.