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Elle n’ose répondre à Buonaparte, quoiqu’elle assure qu’elle aurait pu le faire victorieusement, mais elle avoue qu’on ne peut se heurter, sans se faire mal, contre le plus fort. Le Roi et elle ont décidé de cacher cette lettre « qui, en tous sens, est très hors de propos. » Elle essaie de relever la tête devant Acton, son propre ministre. Inspirée par Elliot et par Nelson, ses amis anglais, elle dit que les menaces de Buonaparte sont des fanfaronnades. « Le cher Napoléon, visant à la suprême souveraineté, ne peut, assure-t-elle, agir comme Robespierre et détrôner, mettre à l’aumône un roi qui ne lui a rien fait, qui souffre des vexations si injustes, un roi frère du roi d’Espagne, beau-père de l’Empereur, allié à la Russie. » Sans un prétexte à motiver, il ne les écrasera point, mais il les vexera comme il le fait sans discontinuer. « C’est la situation géographique qui nous sauve. Que fera-t-il des deux royaumes ou même de celui de Naples seul ? Le garder comme province française, personne ne le lui permettrait. Et puis, c’est si allongé de ses Etats, et puis jamais les Napolitains ni les Siciliens ne supporteront le joug français. Alors le donner à une créature à lui ? Mais à qui ? » Elle ne peut croire que ce soit à l’Empereur, ni à l’Espagne ? Enfin une République, c’est la pierre philosophale. Octroyer Naples à Mme Pauline et au prince Borghèse ? Elle ne le croit pas et pense que tout cela unira par une extorsion d’argent.

Bonaparte la fait surveiller étroitement par son ambassadeur Alquier qui le tient jour par jour au courant de ses faits et gestes. Il s’en irrite fort et invite Talleyrand à faire cesser au plus vite « toutes ces intriguailleries de Naples. » Il sait qu’on ourdit quelques vilaines machinations et qu’on arme les paysans de la Calabre. Qu’on y prenne garde ! Il a plus de troupes qu’il n’en faut pour capturer toute l’Italie et il pourrait bien un jour ou l’autre s’assurer de Naples !

Marie-Caroline entre littéralement en fureur contre le Premier Consul et, dans une lettre du 19 décembre 1803, elle l’appelle « le chien de Corse, le calculateur corse ! » Elle dit : « C’est le Roi, son fils, moi, c’est nous tous qui le détestons et, en vérité, nous sommes bien payés pour cela, et la vie malheureuse qu’il nous fait mener entretient notre haine.. Mais il faut attendre les événemens. » Elle se moque du nouveau Charlemagne, différent de l’ancien qui avait six pieds de haut, était gros et grand, tandis que celui-ci est fluet, maigre, petit,