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infâme…, il fera tout ce que je voudrai et baisera la poussière de mes antichambres ! »

Etait-ce pour donner le change à Alquier ? Etait-ce pour lui cacher les secrets de sa correspondance et détourner son attention d’un homme qu’elle appelait « étourdi ou nul dans les affaires, » et dont elle avait besoin auprès de Buonaparte ? Cela est possible. Mais quel langage ! quelle attitude ! Et comme ces simples détails révèlent une âme agitée, extravagante, disposée à l’intrigue, sans souci de la dignité des autres ! Elle avait une manie, une fièvre, un prurit d’écrire qui dénotait une activité désordonnée. Aussi, que ne pense-t-elle pas ? Que ne dit-elle pas ? Elle apprend le couronnement de Napoléon et elle écrit à Gallo avec une ironie sauvage : « Mandez-moi les intentions de l’auguste Empereur sur l’Italie ; s’il daignera nous accepter pour ses esclaves ou nous laisser dans notre obscurité et non végéter sous la prospérité de ses modérées lois. Mandez-moi ce que disent les autres puissances. Je me figure qu’un Gloria in Excelsis Demonio sera le refrain général. Car il n’y a plus que la vileté, et si le nouvel Empereur exigeait que ses deux confrères empereurs vinssent tenir ses étriers durant que le pauvre Pape le consacrera, ils le feraient. Je suis curieuse de voir si quelque antiquaire retrouvera la Sainte Ampoule ou si quelque hibou descendra du ciel en portant l’huile pour consacrer son confrère… Mais trêve aux mauvaises plaisanteries, effets de l’inutile rage qui me dévore, et venons au fait ! On vous envoie les nouvelles lettres de créance pour le nouveau Potentat. Micheroux[1] voulait attendre la venue des siennes pour nous. Mais on imprime, on grave « Roi d’Italie, » qui serait pour nous bien cruel à digérer. En remettant ces lettres, nous voulons autant éviter la bassesse d’être des premiers à acclamer un usurpateur de la maison de Bourbon que faire des rodomontades avec un homme puissant, redoutable, qui pourrait finir de nous ruiner, chose que je suis convaincue qu’il finira par faire, mais dont il faut lui ôter les occasions et prétextes. Je laisse à votre jugement de trouver le juste milieu en n’écoutant que votre raison, et non votre situation et les désagrémens de la place où vous êtes. Informez-vous bien exactement de tout, des vues, des projets qu’a cette nouvelle Majesté. Nos souhaits sont de rester

  1. Le chevalier de Micheroux, négociateur de la convention de Foligno avant le traité de Florence.