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tout ce qui n’est pas elle. Pendant un long temps, ce fut la prétention de l’Ecole impressionniste de tatouer le visage et les mains du modèle de tous les reflets projetés par les surfaces lumineuses autour de lui, si bien que, dans cet éparpillement omnicolore, il se perdait tout entier. « C’est la nature, » disait-on et l’on avait raison de dire que c’était la nature, telle qu’elle apparaît, dans un jardin, sous des arbres et un chapeau de paille, par un gros soleil. Mais l’on a raison aussi de se libérer de ces conditions très particulières d’éclairage et de pose, si l’on veut saisir, sur une figure humaine, non pas le reflet de ce qui l’entoure, mais le reflet de ce qui l’anime, et point du tout ce par quoi elle se confond avec son milieu, mais justement ce par quoi elle en diffère.

L’admirable portrait de Mme de Tournon si calme, si commodément installé pour l’étude physiognomonique, nous met en présence d’une individualité vivant de sa vie propre, — et c’est précisément le but et la définition du « Portrait. » Nous ne savons pas, il est vrai, comment, ce jour-là, les rayons du soleil jouaient à travers les feuilles, — ni même s’il y avait des feuilles et du soleil, mais nous savons ce qu’avait de bien particulier l’expression de Mme de Tournon. M. Molé semble poser dans une cave, mais nous savons, sans avoir rien lu sur lui, quel était le tempérament de M. Molé. La « Belle Zélie » se détache sur un fond irréel, mais la belle Zélie, elle, offre tous les aspects d’une réalité. Sans doute, il n’y a pas, ici, cette sorte d’intérêt qu’éveille en nous une figure palpitante de reflets, d’ombres, de rayons, toute en vibrations venues de très loin ; mais c’est bien quelque chose quand on tire, pour nous le montrer, un individu de la foule, que de nous faire voir non plus cette foule, mais cet individu.

Ensuite, ces portraits véritables sont de merveilleuses symphonies de lignes. Sens mystérieux de l’équilibre, obscure perception de la pesanteur et de la résistance dans les choses même les plus légères et les moins raides, comme le grain de sable arrêté sur le bord du sablier, goût de ce qui s’alanguit, se déroule et se déploie, ou, au contraire, de ce qui arrête, limite et définit, — tout cela est satisfait par l’ordonnance, gracieuse et simple, de ces atours. M. Ingres dispose ses lignes comme Raphaël. Son idéal de l’art, la Dispute, le sert merveilleusement, tant qu’il reste enchaîné étroitement à la réalité, par l’obligation de suivre son