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dirait que le Prince songe à jouer un rôle politique. » Quand son cousin, George de Cambridge, est appelé à venir siéger dans la Chambre Haute, elle écrit à son père :


10 juin 1856… Je suis convaincue que George sera très modéré dans sa politique et soutiendra le gouvernement toutes les fois qu’il le pourra. Les princes de la famille royale devraient se tenir, autant que possible, en dehors des partis ; sinon, je trouve qu’ils sont invariablement entraînés dans les luttes violentes, et deviennent souvent les instrumens de gens qui sont complètement indifférens au mal qu’ils font à la Couronne et à la famille royale.


Le duc de Cambridge de répondre « qu’il a constaté le grand avantage qu’il y avait à soutenir le gouvernement : » « j’ai ainsi, ajoute-t-il, toujours été bien avec tous les partis et évité de nombreuses difficultés. » Son fils le prince George promet, par le même courrier, « de ne se laisser accaparer » par aucun groupe. « Toutes les fois que les membres de la famille royale peuvent le faire consciencieusement, ils ont le devoir de soutenir le gouvernement de la Reine, » et si cela leur est moralement impossible, « en tout cas, il n’est pas à désirer qu’ils se mettent au premier rang de l’opposition. » Et Victoria d’écrire à son cousin pour le féliciter « de partager son opinion sur l’attitude politique » que doivent prendre tous ceux qui touchent de près ou de loin à la Couronne. Entre les deux rangées de sièges en cuir rouge, en face du Président, le lord Chancelier, se trouve un sofa carré. C’est là que se groupent les pairs, en rupture de ban, les fonctionnaires qui ne sont inféodés à aucun parti, les princes de sang royal. La reine Victoria s’est toujours vue, par la pensée, assise au milieu de ces arbitres impartiaux des, luttes parlementaires, indifférens aux questions de personnes et aux intérêts de clocher, guidés par le seul souci de suivre les oscillations de l’opinion publique et de servir les destinées du peuple anglais. Elle note les rumeurs. Elle écoute les discours. Elle assiste aux scrutins, mais sans se laisser gagner par la fièvre ambiante. Elle ne se mêle aux luttes des partis, que pour mieux connaître la volonté du pays.

La reine Victoria, guidée par le Prince Consort, aurait pu profiter de la désorganisation des tories, au lendemain de la bataille libre-échangiste[1], pour essayer de peser sur le

  1. Voyez, par exemple, le mémorandum du 6 juillet 1846, dans la Correspondance inédite, trad. française, t. II, p. 124.