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fournie, j’éprouvai un véritable saisissement à l’entendre me dire qu’il n’avait plus, désormais, rien à m’apprendre. Et comme, alors ni depuis, jamais je n’ai eu conscience d’aucun effort pénible pour me livrer à ce genre de travaux, il m’est arrivé bien souvent de me demander si, oui ou non, j’étais proprement un musicien « savant. » Le vieux Weinlich, d’ailleurs, ne semblait pas accorder une importance très grande à ces choses qu’il m’enseignait, prises en soi,’et c’est seulement comme une discipline indispensable qu’il s’attachait à me les recommander. « Selon toute vraisemblance, » me disait-il, « vous n’aurez guère l’occasion d’écrire jamais ni fugues, ni canons ; mais ce que vous aurez acquis, grâce à ces leçons, c’est un élément salutaire d’indépendance personnelle. Grâce à elles, vous pourrez dorénavant être vous-même, avec l’assurance d’avoir toujours le moyen de vous tirer des passages les plus compliqués, si par hasard vous êtes forcé d’en écrire ! »

Le fait est que, survenant à ce moment précis de la vie du jeune musicien, les leçons du vénérable successeur de Jean-Sébastien Bach ne pouvaient manquer d’avoir, pour sa carrière future, une importance capitale, — sauf peut-être pour lui à ne pas se trouver en état d’en apprécier pleinement toute l’étendue. Cette « rapidité sans trace d’effort, » cette aisance merveilleuse avec lesquelles l’élève de Weinlich s’initiait aussitôt aux « formes les plus compliquées du contrepoint, » c’était la suite naturelle de l’« illumination » singulière qui s’était produite en lui, quelques jours auparavant, pendant la minute tragique où, mettant sur une carte son dernier thaler, il avait vu que jamais plus il ne ressentirait l’émotion du jeu. Toute son âme, cette nuit-là, s’était comme purifiée et transfigurée, se déhvrant du fardeau de ses passions précédentes, afin de pouvoir s’élancer plus hbrement, depuis lors, vers un objet nouveau. Son exaltation, jusque-là confuse et éparse, s’était brusquement changée en génie créateur ; et voici que, dès le jour suivant, les reproches du seul prof esseur qu’il eût jamais respecté et aimé lui avaient fait subir une commotion « à peine moins forte » que celle qui venait de le « bouleverser ! » Quoi d’étonnant que, dans ces conditions exceptionnelles, l’enseignement de Weinlich lui soit allé tout droit au cœur pour y déposer, presque à son insu, des germes féconds de science et de conscience artistiques ? Par un hasard que l’on serait tenté de quahfier de providentiel, il lui est arrivé que le maître rencontré sur son chemin, en cette heure de crise, au lieu de n’avoir à lui apprendre que les principes de la musique brillante et vide qui régnait alors sur le monde, — d’une musique ne