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d’un futur officier de la marine royale parut enfin insuffisante. On décida de mettre l’enfant au collège ; et, au mois de juin 1777, après un voyage mémorable « dans une énorme berline dorée » à travers la campagne bretonne, si riante dans sa parure printanière, après une première et rapide vision de Combourg, vrai nid d’aigle perdu parmi les bois, — « malgré ses pleurs, » sous la conduite du bon abbé Porcher, le jeune « hibou » partit pour Dol.


VI

Il s’apprivoisa lentement dans sa nouvelle « cage. » On lui enseignait le latin à l’insu de son père, qui n’avait voulu pour lui que des mathématiques, du dessin, des armes et de l’anglais. Il apprit toutes choses avec cette ardeur de passion qui était sa nature même : il avait une grande puissance de travail, une mémoire prodigieuse ; et s’il est vrai, comme il nous le dit, que « sa phrase latine se transformait si naturellement en pentamètre » qu’on l’avait surnommé l’Elégiaque, ce nous est un signe que, de très bonne heure, durent s’éveiller en lui la faculté littéraire et le sens des « beautés poétiques. » Ce goût des Lettres l’achemina bien vite à d’autres découvertes. Dans ce tempérament robuste et violent, dans cette âme excessive, l’éveil de la puberté fut singulièrement précoce et troublant. Le hasard des lectures acheva de bouleverser cette imagination déjà trop ardente : un Horace non châtié, « une histoire effrayante des confessions mal faites » lui apportèrent en même temps la révélation de « deux empires si divers, » et déposèrent en lui, s’il faut l’en croire, les germes de l’art de « peindre avec quelque vérité les passions mêlées aux sentimens religieux. » Trop prompt à saisir tout ce que les textes des poètes anciens ou modernes, et même des moralistes chrétiens, peuvent receler d’expérience de la vie réelle et d’allusions aux choses de l’amour, il se nourrissait de Virgile et de Lucrèce, de Tibulle et de Fénelon, de Massillon enfin, et mille pensées voluptueuses lui venaient de ces pages harmonieuses, de « ces descriptions séduisantes des désordres de l’âme. »

La foi, cependant, subsistait parmi tout cela, foi inquiète et troublée sans doute, et déjà mêlée à des rêveries bien profanes, intacte pourtant, et que les traditions et les habitudes du collège, — il avait été fondé en 1728 par l’évêque de Dol, et il