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même de la tribu, quelqu’un des leurs, mieux organisé, mieux renseigné par quelque voyage et quelques contacts inattendus, les avaient réveillées de leur apathie. Il est même des formes sociales qui, dans certaines régions du globe, se sont échelonnées de progrès en progrès à travers les âges, mais subsistent encore aujourd’hui côte à côte dans d’autres parties de la planète. Dans son livre sur le Sud de Madagascar, le général Lyautey raconte comment, dans une marche de cinq cents kilomètres, il a vu s’étager devant lui, comme en une coupe géologique, tous les âges de l’humanité ; ici des Hovas conquérans qui, par le costume et l’habitation sont déjà des bourgeois de France, près d’eux les Betsiléo disséminés en de petites métairies qui évoquent le souvenir du Perche et de la Bretagne. « Plus au Sud, nous remontons de dix siècles : nous sommes chez les féodaux : le chef, entouré de sa clientèle, s’avance avec l’appareil d’un seigneur du XIIe siècle… Remontons les hautes vallées de la zone forestière, nous faisons un nouveau bond en arrière. A mon premier kabary, j’étais en pleine Iliade. Les tribus étaient venues de loin, amenées par leurs chefs : les groupes étaient massés en rangs profonds, chacun derrière son roi. Ceux-ci parlèrent tour à tour, déroulant leurs périodes nombreuses et imagées ; les jeux suivirent… » Enfin, « à l’extrême Sud, nous sommes aux âges préhistoriques. Là, l’organisation sociale la plus rudimentaire : aucun indice de civilisation. Les groupes, à l’état anarchique, vivent sans besoins, dissimulés derrière d’impénétrables murailles d’euphorbes et de cactus, ignorant l’usage de la monnaie, insoucieux de tout perfectionnement. »

Devant de pareilles diversités de développement et devant de pareilles inégalités de l’évolution sociale au sein d’une même île, comment pourrait-on dire que le petit héritier d’une race quelconque parcourt en son enfance toutes les phases par où a passé « la race humaine ? » Mais à chacune de ces étapes franchies par l’humanité, là où elle allait en avant (car ne l’oublions pas, elle est allée souvent en arrière) cette marche était déterminée, en majeure partie, par des circonstances plus heureuses : une nouvelle modalité du milieu provoquait une nouvelle modalité d’efforts. C’est ce qui fait que parmi les races, les unes ont franchi depuis des siècles la plupart des étapes, tandis que d’autres en sont encore aux plus lointaines. L’enfant d’aujourd’hui traverse-t-il donc toutes ces variations coupées de tant de