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tête qui l’accompagne ou le remplace, ils étaient ravis de les prodiguer. Il leur arrivait de dire non pour le plaisir de dire non ; mais ils savaient aussi le dire fort à propos.

C’est par cette résistance à laquelle il tient beaucoup, que l’enfant déblaie, pour ainsi dire, son terrain de tout ce que les propos, les exemples et, si l’on veut, les suggestions de l’entourage y multiplient de contradictoire. Y réussit-il complètement ? A coup sûr non, puisque ni l’adulte, ni l’homme mûr, ni le vieillard n’y réussissent ; mais enfin, à travers toutes sortes d’hésitations, d’inconséquences et de changemens subits, il s’achemine vers un certain caractère et vers un ensemble de préférences avec lesquelles il faudra compter.

D’abord, si c’est un garçon, il ne voudra pas faire ce qu’il voit faire aux filles (et ceci dans les moindres détails de la vie). Puis il se forme peu à peu une image ou indifférente ou attrayante ou déprimante ou même répulsive des camarades qui jouent avec lui, des différens membres de la famille, de ceux qui fréquentent la maison et bientôt de ses maîtres et maîtresses. Ce qui résulte de ces comparaisons, réfléchies ou irréfléchies, on le devine : il imite exclusivement ceux qui lui plaisent et fait ce que ceux-là seulement lui suggèrent. Tous les parens soucieux de leurs devoirs savent à quel point ils ont besoin de veiller à ce que leur autorité ne cède pas la place, sans qu’ils s’en doutent, à celle d’un étranger, d’un compagnon de jeux, très souvent d’un domestique, ou quelquefois même, au moins pour un temps, à celle d’un personnage d’imagination dont l’enfant a pris au sérieux les aventures. Il est donc faux de tout attribuer chez lui à l’imitation et à la suggestion, si on n’insiste pas sur ce fait, que son imitation est élective et que la force de la suggestion qu’il subit dépend surtout de la préférence, — momentanée peut-être, — qu’il a pour celui de qui elle vient.

En tout cela, l’égoïsme ou la bonté de l’enfant et ce qu’on appelle son bon ou son mauvais cœur jouent Un rôle important. Chez lui, les séparations qui peuvent plus tard nous étonner entre la sensibilité et l’intelligence, entre la compréhension et l’affection, ne sont pas encore accusées. La bonté est une première forme de l’intelligence, la meilleure peut-être, car elle ouvre l’esprit et l’élargit, autant que l’égoïsme l’enferme en un cercle étroit à l’horizon rétréci. Une imagination pauvre et sèche empêche de sympathiser avec les maux d’autrui,