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c’est une énigme. » Eh bien ! ce n’est pas mon avis ; malgré son incorrection bien pardonnable, cette réponse m’a paru la plus claire de toutes. L’enfant en question donnait en quelque sorte la théorie de ce que beaucoup de ses camarades pratiquaient peut-être sans s’en douter. Elle affirmait ne vouloir ressembler, un jour, qu’à une personne qu’elle connaîtrait parfaitement et dont les qualités, dont l’humeur, dont la bonne réputation, dont la bonté, dont la bonne chance aussi ne lui laisseraient aucun doute. Elle était dans le vrai ; et c’est ce qui nous explique comment l’idéal d’un enfant varie avec la nature de ceux qu’il a l’occasion d’admirer, — croyant les connaître, — ou dans la vie réelle, ou dans l’histoire, ou dans ces récits imaginaires dont on occupe ses rêveries changeantes.

De tout ce qui précède, il suit que l’enfant est un être actif, tout plein d’énergies spontanées, travaillant lui-même à la constitution de son langage, de son art et de ses jeux, de son idéal préféré, imitant beaucoup, mais n’imitant pas qui que ce soit. On ne saurait non plus le traiter comme un simple réceptacle d’activités et d’aptitudes indépendantes, dont on pourrait mesurer, puis régler l’essor en les isolant indifféremment les unes des autres. L’organisation qui s’ébauche et se consolide en lui n’est pas toujours en équilibre ; mais elle tend à s’y mettre si on surveille les corrélations mutuelles de ses diverses facultés et si on aide l’une à compenser l’insuffisance, quelquefois passagère et guérissable, de l’autre. Si, en effet, nous ne pouvons rien sur l’enfant sans son concours, lui non plus ne peut rien sans le nôtre. Et quand je dis le nôtre, je ne veux pas seulement parler du maître qui le dirige ou qui est censé le diriger ; je veux parler aussi de l’accumulation des influences héréditaires et plus encore des influences morales du jour ou de la veille, de la place qu’on donne à l’enfant dans la famille, de manière qu’il puisse relier celle de demain à celle d’hier : car pour l’être humain mieux valent encore des liens qui gênent que des liens brisés : on peut assouplir les uns, on ne peut pas facilement remplacer les autres.


HENRI JOLY.