Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/605

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et réduites en esclavage comme Ardouizour. Alors l’indignation lui rendait le courage.

Quelquefois, il gravissait, avant l’aube, la cime de sa montagne boisée de cèdres. Il écoutait le vent gémir dans les grands arbres tendus comme des harpes vers le ciel. Du sommet il regardait l’abîme, l’escarpement des pentes vertes, les cimes de neige, hérissées de pointes aiguës, et au loin, sous une vapeur rose, la plaine de l’Iran. Si la terre, disait Zoroastre, a eu la force de soulever d’un tel élan ses mille mamelles vers le ciel, pourquoi n’aurais-je pas, moi, la force de soulever mon peuple ? Et quand le disque éclatant de l’astre-roi jaillissait des cimes de neige, dissipant d’un seul rayon comme d’un coup de lance les brumes du gouffre, Zoroastre se remettait à croire à Ormuz. Il priait tous les matins, comme Vahoumano le lui avait enseigné : « Sors, ô soleil étincelant avec tes chevaux rapides, monte sur le Hara-Berezaïti et éclaire le monde ! »

Cependant Ormuz ne venait pas. Les rêves nocturnes de Zoroastre devenaient de plus en plus effrayans. Des monstres plus horribles l’assiégeaient, et, derrière leur houle mouvante, une ombre apparut, une ombre vêtue de longs habits de deuil, le visage voilé de noir comme le reste de son corps. Elle se tenait immobile et semblait regarder le dormeur. Etait-ce l’ombre d’une femme ? Ce ne pouvait être Ardouizour. La blanche puiseuse à la source d’azur n’aurait pas eu cet air sinistre. Elle paraissait et disparaissait, toujours immobile, toujours voilée, son masque noir fixé sur Zoroastre. Pendant un mois, elle revint toutes les nuits sur la houle des démons changeans. Enfin elle parut se rapprocher et s’enhardir. Derrière ses voiles noirs, chatoyait, en lueurs fugitives, un corps nacré d’une beauté phosphorescente. Etait-ce une tentatrice envoyée par Ahrimane ? Etait-ce une de ces lémures, qui induisent les hommes à des amours lugubres parmi les marbres des tombeaux, sous les cyprès des cimetières ? Mais non ; l’Ombre voilée avait trop de tristesse et de majesté. Une nuit cependant elle se pencha sur lui, et de sa bouche, à travers son voile noir sortit une haleine brûlante qui se répandit dans les veines du voyant comme un fleuve de feu.

Et Zoroastre s’éveilla dans une sueur d’angoisse, sur son lit de feuilles sèches, sous sa peau de buffle. On n’entendait, dans la nuit, que les hurlemens du vent tournoyant dans le gouffre,