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étendait les bras sur chacune en prononçant quelques mots. Il regardait ces nuques robustes et ces bras bronzés par le soleil. L’une ou l’autre de ces femmes lui rappelait Ardouizour, mais aucune n’avait la blancheur éclatante de la Vierge, puiseuse de lumière à la source d’azur, aucune n’avait la fierté de son port, aucune son visage de fille de roi, aucune son regard d’aigle blessé qui perçait comme un javelot, aucune le son de sa voix qui submergeait comme un flot de cristal. Il entendait encore son cri : « Sauve-moi ! » et il n’avait pu la sauver… C’est ce cri terrible qui avait poussé le fougueux jeune homme vers le sage Vahoumano, lequel Ardjasp était devenu Zoroastre. C’est grâce à ce cri qu’il avait soulevé sa tribu et toute la race des Aryas à la conscience d’elle-même pour une lutte à la vie, à la mort. De ce cri d’une femme en détresse était née son œuvre. Mais Elle… Ardouizour… où languissait-elle… vivante ou morte ? Zoroastre, qui savait tant de choses, ne le savait pas. Malgré toutes ses prières, Ahoura-Mazda ne le lui avait pas révélé. Un nuage de sombre douleur lui masquait ce secret.

Après quarante ans de luttes tumultueuses aux nombreuses péripéties, Zohak, roi des Touraniens, qui n’avait cessé de harceler les vainqueurs, fut tué, et sa forteresse prise par les Aryas. Zoroastre proclama Lorasp roi des Aryas et instaura le culte d’Ormuz à Baktra, après avoir fait couper en morceaux les deux serpens, puis combler de sable et de blocs de pierre la caverne qui avait servi au culte infâme d’Ahrimane. Ayant ainsi parfait son œuvre, il voulut se retirer dans sa caverne, pour savoir d’Ormuz l’avenir de sa race et transmettre cette révélation aux siens. Il donna ordre à ses trois meilleurs disciples de le rejoindre au mont Albordj, au bout d’un mois, pour recevoir ses dernières instructions. Zoroastre voulait finir sa vie sur la montagne où il avait entendu pour la première fois la voix d’Ormuz, et il savait que son Dieu lui dirait là une dernière parole. Mais, avant de quitter le monde, voici la recommandation qu’il laissa à ses fidèles comme conclusion et résumé du Zend-Avesta : « Que ceux qui m’écoutent ne considèrent pas Ahrimane, l’apparence des choses et des ténèbres, mais le Feu originaire, la Parole, Ahoura-Mazda — et qu’ils y vivent. Ceux qui ne m’écoutent pas s’en repentiront à la fin des temps[1]. »

  1. Ahoura-Mazda, l’auréole du soleil, représente ici la couronne d’esprits divins qui ont créé le soleil et forment son aura et dont Ormuz est l’animateur. Cette auréole spirituelle est en quelque sorte l’âme vivante du soleil dans la pensée du mazdéisme.