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pour exterminer jusqu’au dernier les fils de Zohak, afin qu’ils ne détruisent pas mon peuple, dussé-je devenir la proie d’Ahrimane… comme la noble Ardouizour !

Alors la voix d’Ormuz s’éleva comme un léger murmure, comme un souffle de brise dans les branches des grands cèdres et dit : « Arrête, mon fils, arrête, grand Zoroastre. Ta main ne doit plus toucher une épée, tes jours sont révolus. Gagne le haut de la montagne où l’on voit le soleil se lever sur les cimes du mont Berezaïti. Tu viens de voir l’avenir avec l’œil des hommes ; tu vas le voir avec l’œil des Dieux. Là-haut reluit la justice d’Ormuz et t’attend l’Ange de la Victoire. »

Et Zoroastre gravit la montagne au-dessus de la grotte. Au sommet, il s’assit épuisé sous un cèdre et attendit le jour. Quand le soleil parut derrière la forêt des cimes blanches, le vieux lutteur sentit un grand frisson secouer son corps.

— C’est la mort ! dit la voix d’Ahrimane dans le gouffre ténébreux.

— C’est la résurrection ! dit la voix d’Ormuz dans le ciel.

Aussitôt Zoroastre aperçut comme une arche de lumière, qui parlait de ses pieds pour s’élancer au ciel. Elle était aiguë comme le tranchant d’un glaive et brillait comme le diamant.

Son âme, arrachée de son corps et comme emportée par un aigle, s’élança par-dessus.

Au haut de l’arche, une femme superbe, drapée de lumière, était debout sur le pont de Tinegad. Elle rayonnait de fierté et de joie surhumaine. Comme deux éclairs blancs, deux ailes jaillissaient de ses épaules. Elle tendait au prophète une coupe d’or d’où débordait un breuvage écumant. Il sembla à Zoroastre qu’il la connaissait depuis toujours, et pourtant il ne put la nommer, tant son sourire merveilleux l’éblouissait de son éclat.

— Qui es-tu, ô prodige ?

— O mon maître, ne me reconnais-tu pas ? Je suis Ardouizour… Je suis ta création, je suis plus que toi-même, je suis ton âme divine. Car c’est toi qui m’as sauvée, c’est toi qui m’as suscitée à la vie ! Quand, prise d’horreur et de colère, j’ai tué mon ravisseur, le chef touranien, et quand ses frères m’eurent poignardée, mon âme erra longtemps dans les ténèbres. J’étais l’ombre qui te hanta. Je t’ai persécuté de mon désespoir, de mes remords, de mon désir… Mais ce sont tes prières, tes larmes, tes appels qui m’ont soulevée peu à peu du royaume