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plus simples, la vie économique n’est guère moins rudimentaire. Le commerce est fait par une classe peu nombreuse de marchands, de Négadis, surtout musulmans, soumis à tous les prélèvemens qu’inspire le bon plaisir et qui, pour cette raison, délaissent les domaines des Ras trop exigeans. Pas de monnaie en dehors du thaler de Marie-Thérèse d’Autriche, qui a cours aussi dans plusieurs régions du Soudan, par exemple le Ouadaï ; comme divisions de cette monnaie, des barres de sel, des cartouches de fusil Gras et même des douilles vides. C’est seulement après la victoire d’Adoua que Ménélik commença à faire frapper des écus à son effigie.

L’Empereur n’a, comme bien on peut le croire d’après cette esquisse du milieu, aucune administration pour exécuter avec régularité sa volonté dans un pays d’ailleurs vaste et aux communications difficiles. Ses ordres sont appliqués par une hiérarchie de chefs auxquels sont donnés des fiefs, leur vie « durant. C’est tout ce que permet l’état actuel de l’Empire du Négous, et si cette machine rudimentaire fonctionne encore assez bien sous l’impulsion d’un homme de la trempe de Ménélik, on s’explique cependant qu’un des plus vieux résidens français en Ethiopie ait pu dire : « Les ordres de l’Empereur, en Abyssinie, sont comme une pierre jetée dans un large étang : près de la pierre de grosses vagues, plus loin l’eau se ride à peine. »

On voit à quel point certaines peintures du vainqueur d’Adoua et de son peuple ont été systématiquement modernisées. Ce contemporain qu’est Ménélik se trouve être pour les Occidentaux de notre génération un homme d’autrefois. S’il a été un réformateur, un homme de progrès, ce fut avec des procédés qui font penser à Dagobert et à Charlemagne. Ce souverain d’une nation politiquement et socialement en bas âge a fait venir du dehors des instrumens et aussi des hommes auxquels il demande des conseils sur l’agriculture et tous les arts. Dans son zèle et pour entraîner son peuple, il met « la main à la pâte : » on l’a vu commencer lui-même à creuser des caniveaux de drainage. Pour bien comprendre et pour donner l’exemple, il démonte de ses doigts, inexpérimentés mais habiles, les engins européens offerts à sa curiosité. Il faut qu’il réagisse contre le mépris traditionnel des Ethiopiens pour la classe des artisans dont tout ce qu’il apprend lui révèle de plus en plus la nécessité. Oui certes, il est un homme de progrès, mais avec les