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s’aventurer. C’était d’après leurs légendes un pays redoutable, habité par des hommes à tête de chien, sans doute imaginés par des voyageurs qui avaient vu d’un peu loin les femmes Souros, la lèvre inférieure distendue par l’énorme disque de bois qu’elles y insèrent et qui donne à leur face un aspect de museau. Non seulement Tessama avait reconnu les limites du plateau vers le Sud-Ouest et soumis les Gallas jusqu’à la crête de la falaise, mais encore le lieutenant de Ménélik avait imposé l’autorité du Négous aux négroïdes Guimiras, Adjoubas et Souros habitant les avant-monts et la partie voisine de la plaine. Le marquis de Bonchamps avait fait de même un peu plus au Nord, dans le pays des Yambos des bords du Baro. Dans le même élan, en 1897, le Ras Maconnen occupait au Nord-Ouest le pays des Béni Chongoul ; le Ras Valdéguiorguis poussait droit au Sud jusqu’au lac Rodolphe, tandis qu’au Sud-Est, le général Hapté Guiorguis, accompagné d’un autre Français, M. Darragon, étendait la puissance de Ménélik jusqu’au désert de l’Ogaden. Ainsi les Ethiopiens, arrivés dans toutes les directions au bord de leur falaise, dominaient sur son pourtour entier les plaines arides ou marécageuses au-dessus desquelles se dresse leur pays. Ils avaient même, en grande partie grâce aux conseils français, acquis dans ces plaines de larges glacis devant leur forteresse naturelle. Lorsque viendrait l’heure de passer avec l’Angleterre et l’Italie des traités de délimitation, Ménélik pourrait s’appuyer sur une situation de fait pour ne donner aucun pied sur le plateau à ces voisins dangereux ; il pourrait même tenir assez loin de la base des montagnes éthiopiennes ces forces nouvelles qui se substituaient à la vieille barbarie africaine autour de l’Ethiopie, et mettaient fin à son séculaire et, on pourrait dire, splendide isolement.

Il fallut cependant dix années encore au Négous pour couronner sa grande œuvre d’expansion territoriale, en ajoutant au fait le droit consacrant par des actes diplomatiques les résultats acquis par l’occupation effective éthiopienne. Les traités anglo-éthiopiens du 15 mai 1902 et du 6 décembre 1907 donnèrent à l’empire du Négous ses frontières du côté du Nil et de l’Ouganda : les conventions italo-éthiopiennes du 10 juillet 1900, du 15 mai 1902 et du 16 mai 1908 déterminèrent la frontière, souvent remaniée, entre l’Ethiopie et l’Erythrée et abornèrent plus facilement le protectorat italien de la côte du Bénadir.