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consacrent aujourd’hui de la manière la plus formelle l’indépendance de l’Ethiopie dans des limites régulièrement reconnues. Seuls des désordres intérieurs pourraient donner des raisons ou des prétextes pour remettre en discussion cette solide situation de droit. Le règne de Ménélik a mené l’Ethiopie au point où il ne dépend plus que d’elle-même de durer. Et aujourd’hui que ce grand Africain quitte la scène du monde, il ne se pose plus pour elle que cette question : Quelle est la solidité intérieure de l’édifice dont Ménélik a su achever toutes les façades ?

Pour ce qui est de l’avenir un peu éloigné, échappant aux mesures de prévoyance prises par le grand Négous avant qu’il fût obligé de laisser à d’autres le soin de continuer son œuvre, la question ne peut manquer d’inspirer un doute inquiet aux amis de l’Ethiopie. On ne saurait rassurer ceux d’entre eux qui savent réfléchir par l’évocation du passé ininterrompu de l’indépendance éthiopienne. L’Ethiopie a été défendue de la conquête parce que le marais à l’Ouest et le désert de tous les autres côtés n’ont permis qu’à des peuplades inférieures ou clairsemées de vivre autour de sa montagne, et que cette ceinture défensive a amoindri, pour ainsi dire égrené les invasions qui pouvaient arriver jusqu’à elle. Mais aujourd’hui, ce peuple n’a plus la supériorité sur ceux qui l’entourent. Il est pressé par de grands voisins qui ont une volonté d’empire et tous les moyens que la civilisation matérielle met de nos jours au service de cette volonté. Sur cette plaine rousse et vide, dont les Ethiopiens voient du haut de leur falaise occidentale l’horizon se confondre avec le ciel dans le tremblotement du mirage, et qui ne nourrissait jusqu’ici que quelques groupes incohérens de négroïdes, ils pourraient, avec un peu d’imagination prévoyante, distinguer maintenant les fumées des petites canonnières anglo-égyptiennes. Les rivières qui, comme le Baro et l’Adjouba, en quelques kilomètres de course et de bonds furieux, tombent des hauts plateaux dans la plaine, s’y assagissent aussitôt et deviennent facilement navigables jusqu’au Nil. En outre, le rail anglais venant de Khartoum remonte le Nil Bleu vers le territoire éthiopien. Il pourrait être tenté, au lieu de le contourner à l’Ouest, entre le pied des monts et le marais, de le traverser, en plein pays fertile, en utilisant le passage que lui offrent les vallées opposées de la Didessa et de l’Omo. C’est peut-être ce qu’avaient en vue, pour le futur ; « Cap au Caire, » les