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inquiet et nerveux, frémissant au moindre danger, timide devant une assemblée nombreuse dont les dispositions lui semblaient hostiles ou seulement douteuses, mais retrouvant toute sa faconde et devenant même éloquent, quand il se sentait écouté ; n’ayant, en somme, qu’une vertu, une absolue franchise, une incapacité de dissimulation, qui ne l’a pas empêché de faire son chemin dans la diplomatie. Il avait passé la soixantaine, lorsqu’il donna encore à la ville de Vienne le spectacle d’une folle passion pour la danseuse Fanny Elsler ; puis il vécut ses dernières années dans une peur maladive de la mort, qui l’atteignit enfin le 9 juin 1832, moins d’un an avant Rahel. Les contrastes de son caractère faisaient de lui une énigme pour ses amis. Rahel l’aimait, malgré ses vices ; elle disait à propos de lui : « Il y a des gens que nous ne pouvons qu’approuver dans tous leurs actes, mais qui nous laissent indifférens ; il y en a d’autres que nous ne faisons que blâmer, mais qui ont su trouver le chemin de notre cœur. » Elle expliquait les inconséquences de Gentz par une sorte d’ingénuité native, qui le livrait sans défense à toutes les impressions ; elle l’appelait son éternel enfant, et peut-être le secret de son attachement pour lui était-il dans la protection presque maternelle qu’elle exerçait sur lui, et à laquelle il recourait sans cesse dans ses heures d’angoisse. « Vous m’appelez un enfant, lui écrivait-il : c’est le mot le plus doux et le plus cher que vous puissiez prononcer sur moi. Mais c’est vous seule qui avez fait de moi un enfant. Ne vous souvenez-vous pas comment, auprès de vous, dans votre atmosphère printanière, tout ce qui me vieillissait s’est fondu en moi et m’a fait rajeunir ? » Et dans la détresse de ses derniers jours : « Je me réfugie auprès de vous, et je sais que vous ne me refuserez pas votre secours. Vous êtes un médecin comme il y en a peu. Parlez-moi, grondez-moi, cajolez-moi ; employez le remède qui vous paraîtra le mieux approprié à ma situation. Je veux voir de votre écriture, je veux entendre de vous que vous avez encore de l’amitié pour moi, que ma maladie ne vous est pas indifférente, que vous ne me croyez pas perdu… » Sa maladie était le désespoir de se voir mourir. Elle le rassura, le sermonna doucement, lui parla de la vie éternelle, sans pouvoir le convaincre.

Ce qui plaide en faveur de Gentz, c’est qu’il eut des amis qui valaient mieux que lui. De ce nombre est le prince