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acte, le seul dont nous ayons fait la connaissance, car, « ce soir-là, nous n’entendîmes pas plus avant. »

A l’Opéra-Comique, on a vu des Chinois et des Espagnols. Les premiers sont d’après M. Clemenceau. M. Raoul Laparra nous a montré les autres.

Après et comme l’Ancêtre, sur le même théâtre, le Voile du bonheur est derechef une histoire d’aveugle, mais plus philosophique et cum grano salis. Si ce n’était la principale et conjugale péripétie, le sujet serait d’opérette, aussi bien, mieux peut-être que de comédie lyrique. Et ve Voile du bonheur pourrait s’appeler encore : L’éloge de la cécité, ou enfin, empruntant un titre récent, heureux et déjà consacré : Ce que mes yeux ont vu. Les yeux du mandarin Tchang-I, fin lettré, bon époux et bon père, ne voient plus rien depuis quelque dix ans. « L’illusion féconde habite dans son sein. » Illusion amicale, illusion charitable ou philanthropique, illusion maritale et paternelle, nulle ne manque, hormis l’illusion politique ou ministérielle, à ce réseau de mensonges heureux que la main d’un ancien président du Conseil a tissé. Notre fortuné Chinois croit donc aveuglément à la vertu des femmes, à la piété des fils (la sienne et le sien en tête), à la loyauté des amis, fût-ce à l’honnêteté des malfaiteurs. De Si-Tchoun, son épouse, et du jeune Tou-Fou, de son fils et du précepteur de son fils, qui lui sert accessoirement de secrétaire, il n’entend que de bonnes paroles, des assurances d’amour, d’amitié, de respect et de dévouement. Ainsi tout succède à ses vœux et répond, si l’on peut dire, à ses vues, intérieures et purement idéales. Par surcroît, l’Empereur, informé de ses travaux littéraires, l’en fait récompenser par de riches présens et des honneurs insignes. Non pas tout seul, il est vrai, mais de compte à demi avec le secrétaire, et ce partage ne laisse pas d’étonner un moment l’honnête lauréat. Rien qu’un moment, et dans sa bonté, dans sa joie, ayant entendu passer et gémir à sa porte un meurtrier qu’on mène au supplice, il implore du souverain, comme faveur suprême, la grâce de ce condamné, qui ne saurait manquer d’être innocent. Puis, allumant des bâtonnets parfumés, il accomplit les rites et remercie les dieux.

Par malheur, un empirique a remis à Tchang-I certain élixir, salutaire et funeste à volonté, capable, suivant la dose, de rendre d’abord à l’aveugle, puis de lui reprendre la lumière. Nous assistons à la première opération, dont les effets ne se font pas attendre. D’un quadruple et terrible réveil, le quadruple rêve est suivi. C’est, pour commencer, la déception d’amitié. Sur la première page de ses