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Mais cet amour et cette ivresse ne sont peut-être pas très dignes d’un musicien tel que M. Laparra.

Enfin, après la Habanera, la Jota, c’est un peu la même chose et quelque chose de moins bien. Allons-nous avoir tout le cycle, une collection complète des danses d’Espagne, servant tour à tour de sujet, ou seulement de titre à un opéra ! La Jota n’a guère ici donné que son nom. Avec le drame de la Habanera, la danse locale était plus étroitement unie. Dans la musique aussi le thème avait plus d’importance et, sous des formes renouvelées, prenait plus de valeur. Ici, d’un côté, le lien est plus lâche ; de l’autre, l’intérêt est moins vif. Ainsi le second des deux ouvrages trahit un peu d’arbitraire et d’artifice ; la succession de l’un et de l’autre produit quelque monotonie.

Pourtant, si défavorable à la musique, incompatible même avec elle, que soit le dernier acte de la Jota, des traces de beauté s’y pourraient découvrir, quand par hasard l’action convulsive accorde aux personnages un instant de répit et comme une halte lyrique : je pense à certain vocero, où Soledad, hallucinée, mêle des souvenirs, des échos de la jota à son hymne de triomphe, d’amour et de mort. Le reste, oh ! le reste n’est pas le silence, mais le tintamarre. Si l’on veut retrouver le musicien de la Habanera, c’est au premier acte de la Jota qu’il faut l’aller chercher. Là, rien ne s’est perdu, rien même n’a faibli, ne disons plus de son « tempérament, » mais de sa nature, de sa force ramassée, de sa concision puissante, de ses farouches et sombres ardeurs. On le sait, le genre de M. Laparra n’est pas précisément le genre enjoué. La douleur, la désolation et le désespoir, le comble de la violence ou l’abîme d’une morne stupeur, voilà son domaine, ou son « affaire. » Il excelle dans le sombre, dans le noir. En un mot, pour « l’article de deuil, » il n’a pas son pareil. Nous parlons sérieusement, et surtout nous ne parlons pas d’ « article de Paris. » L’Espagne, M. Laparra ne l’a pas regardée, écoutée de loin, à travers des reflets ou des échos. Longuement, amoureusement, et sur place, il s’est fait sien avant de la faire sienne. Il a vécu sa vie, il a respiré son âme, et, quand il la chante, on sent, à n’en pouvoir douter, on a l’impression directe et profonde que tout est non seulement sincère, mais véridique dans sa voix. D’aucuns ont trouvé la musique du premier acte même de la Jota, comme celle de la Habanera, quelque peu sommaire, procédant par touches trop brusques et trop vives, sans assez de suite et de développement. Le reproche n’est pas complètement injuste. Mais on y peut répondre que la brièveté n’est pas