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Bruxelles, en 1876, avec son collègue le baron Baude, lui avait dit : « Si la France se laissait entraîner à l’imitation de la politique religieuse appliquée depuis cinq ans en Allemagne, on verrait M. de Bismarck en profiter, avec son habileté ordinaire, pour accélérer son évolution, se dégager des embarras que votre pays commettrait l’erreur d’assumer à sa place, et rechercher, à des conditions rendues plus accessibles pour lui par l’état de la France, une réconciliation avec le Saint-Siège. » Il advint, en Allemagne, après 1877, ce qu’avait ainsi prévu Mgr Vannutelli, ce que pronostiquait, dès 1875, le prince de Hohenlohe lui-même, lorsqu’il disait à Blowitz : « Pour aller à Canossa, Bismarck n’attend que l’anticléricalisme français. »

En janvier 1878, Victor-Emmanuel mourait ; le futur Frédéric III, qui s’en allait à Borne pour lui rendre les derniers devoirs, résistait aux instances de l’impératrice Augusta, et s’abstenait d’aller voir le Pape : l’Allemagne continuait de ne plus connaître Pie IX. Mais, un mois plus tard, Pie IX disparaissait à son tour ; l’Allemagne allait recommencer de connaître la Papauté ; et tandis que la presse bismarckienne célébrait en France Floquet et M. Lockroy, comme des héros du Culturkampf, l’imagination de Bismarck, cédant au rêve qu’elle n’avait jamais complètement abandonné, recommençait d’aspirer à causer avec Borne, par-dessus les évêques, par-dessus le Centre. Se passer du Centre pour faire la paix, ne serait-ce pas encore avoir vaincu le Centre ? Bismarck palliera sa défaite par cette illusion de victoire ; Léon XIII sera le véritable vainqueur.


XI

Les luttes avec Pie IX avaient été pour Bismarck une école ; il avait appris, à cette école même, ce qu’était l’Eglise. En se heurtant à ce faible vieillard, à cette tête découronnée, il avait reconnu que cette puissance spirituelle, à laquelle il prêtait des airs d’insurgée parce qu’elle avait refusé de se confondre avec l’Etat, n’était pas décidément une puissance du même ordre que celles avec lesquelles il avait coutume de se mesurer ; même frappée, elle gardait encore je ne sais quoi d’invincible ; même incarcérée, elle gardait encore quelque chose d’inviolable ; elle articulait des refus d’obéissance qui démentaient les erreurs bismarckiennes sur la valeur de la loi ; elle commettait et