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dont aucun ne dépasse dix millions d’âmes et qui, à mesure que l’on s’avance vers le Sud, deviennent comme une poussière de nationalités : autour du Balkan et du Pinde, les curieux d’ethnographie et les agens des propagandes nationales sont obligés de rechercher, village par village, les origines raciales et les affinités historiques de chaque molécule. De tous ces groupes ; celui des Roumains est le plus nombreux, le mieux délimité, le plus distinct.

La grande cuvette du Danube et de la Tisza était jadis occupée par des tribus slaves, tandis qu’un peuple latin ou latinisé, les Valaques, — les Roumains d’aujourd’hui, — descendans des anciens colons de Trajan et des Daces romanisés, se maintenait, comme dans une forteresse, dans les montagnes de la Transylvanie. Au milieu de ces Slaves et de ces Roumains, le Magyar, au IXe siècle, tailla sa place à coups de sabre, refoulant les uns, séparant les autres, absorbant les moins résistans, tandis qu’au milieu des Roumains de la montagne s’implantait une autre tribu d’origine asiatique, les Szekels, qui seraient, dit-on, les petits-fils des Huns d’Attila, les descendans de ces Turcs Kiptchak qui combattaient dans les armées du Tchinghiz-Khan. N’étaient ces Szekels, aujourd’hui fondus avec les Magyars, et quelques colonies saxonnes de Transylvanie, qui ont introduit parmi eux un élément hétérogène, les Roumains constitueraient une masse compacte de plus de douze millions d’hommes. Sur ce nombre, près de trois millions et demi vivent en Hongrie et en Transylvanie, 230 000 dans la Bukovine autrichienne, 1 300 000 dans la Bessarabie russe, 90 000 en Serbie. Le reste, formant une masse de sept millions d’âmes, peuple la Moldavie et la Valachie et constitue le royaume de Roumanie.

C’est un des plus étranges phénomènes de l’histoire de l’Europe que cette survivance d’un noyau de peuple latin sur le Bas-Danube et dans les Carpathes. Protégés par les massifs épais où ils se réfugiaient quand les temps étaient trop durs, cramponnés à la glèbe nourricière, les descendans des colons de Trajan ont subi sans être emportés tous les remous de peuples qui, si souvent, ont fait et défait les empires dans les Balkans et sur le Bas-Danube ; courbés toujours, changeant de maîtres souvent, ils ont, à force d’énergie, de patience et d’humilité, survécu au cimeterre des Janissaires, au sabre des Houzards, à la rapacité des Phanariotes ; ils ont sauvé leur