Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/782

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la délimitation. Il faut se souvenir que, pour rendre moins amer aux Roumains l’échange de la Bessarabie méridionale contre la Dobroudja, exigé par le Tsar et Gortchakof, le premier plénipotentiaire français, M. Waddington, proposa et fit adopter une extension considérable du territoire roumain au Midi de la Dobroudja ; la frontière fut reportée jusqu’au delà de Mangalia, sur la Mer-Noire, et, le long du Danube, jusqu’à une petite distance de Silistric. M. Waddington insista même sans succès pour que la part de la Roumanie englobât la ville de Silistric, à laquelle sa forte position sur le Danube donne une importance particulière. Lors des opérations de délimitation, il y eut encore de longues contestations à propos d’un village voisin de Silistrie, Arab-Tabia ; malgré l’opposition très vive de la Russie et la mauvaise humeur de Bismarck[1], Arab-Tabia finit par rester à la Roumanie, mais Silistrie avec ses vergers, ses jardins et ses vignes demeura bulgare.

La vieille citadelle de Silistrie est un point stratégique très important ; c’est la clef de la Dobroudja. Cette province, habitée par des Bulgares et par des Tatars musulmans, au milieu desquels les colonies roumaines n’étaient au moment de l’annexion qu’une faible minorité, est encore mal rattachée à la Roumanie ; les Bulgares ne regardent pas sans regrets ces plaines qui sont la prolongation naturelle des leurs et où habitent un grand nombre de leurs frères. Mais la Dobroudja est devenue indispensable à la vie des Roumains ; ils s’alarment de voir le port de Constantza, qu’ils ont créé à grands frais, et le chemin de fer qui y mène, exposés, dans un pays plat, sans frontières naturelles, au raid audacieux d’un adversaire bulgare. L’armée roumaine est obligée de monter une faction pénible dans ces plaines ouvertes. La possession de Silistrie et de sa banlieue remédierait à ces inconvéniens et apaiserait ces craintes ; Silistrie fortifiée deviendrait la base solide de la domination roumaine sur la rive droite du Bas Danube. Pour les mêmes raisons

  1. Voyez la lettre du prince Carol au prince Antoine de Hohenzollern, dans Quinze ans d’Histoire (1866-1881) d’après les Mémoires du roi de Roumanie, par le baron Jehan de Witte. Plon, 1905, in-8, p. 389. Ces Mémoires ont été rédigés par le docteur Schœfer d’après des documens privés et personnels, appartenant au roi Carol, sa correspondance, son journal ; malgré le ton impersonnel ce sont bien de véritables mémoires. Ils ont paru d’abord en allemand à Stuttgard, puis en français à Bucarest sous le titre de : Notes sur la vie du roi de Roumanie par un témoin oculaire (4 vol. in-8).