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dons spéciaux qu’un décret nominatif de la Providence semble aux Hohenzollern avoir imparti à leur race pour le gouvernement des hommes ; sa vie privée est simple, ses mœurs austères, avec une nuance de mélancolie qui fait penser à la tristesse de ces plateaux de la Souabe ou s’élève le vieux nid de hobereaux d’où est sortie la lignée des Hohenzollern. Les lettres fréquentes qu’il échangeait avec son père tant que celui-ci vécut et qu’il a insérées dans ces Mémoires qui constituent un si précieux document pour l’histoire contemporaine, nous le montrent, sous des apparences de froideur, passionné pour la politique et pour l’art de la guerre. Il était capitaine de dragons prussiens, quand l’imprévoyance de Napoléon III fit de lui un prince régnant de Roumanie, et il est resté toujours épris de gloire militaire ; sa fermeté et son coup d’œil, à Plevna, sauvèrent l’armée russe : ce fut sans doute le plus beau moment de sa vie. Les triomphes des armées prussiennes en 1866, en 1870, la résurrection de l’Empire allemand au profit des Hohenzollern, excitaient son émulation ; il voulait être, sur le Bas-Danube, à la hauteur de la prodigieuse fortune de sa maison. Il suivit les méthodes et les exemples que le succès consacrait avec tant d’éclat ; il donna tous ses soins à l’armée qu’il n’a jamais cessé de perfectionner et d’accroître. En politique, son application, son bon sens, sa ténacité ont parfaitement servi la prudence de ses desseins ; il a montré, en diplomatie, la vigilance et l’esprit de décision dont il avait brillamment fait preuve, en 1877, à la tête de ses troupes. Secondé par la bonté active et l’intelligence brillante de la Reine, il a fini par s’imposer au respect et à la reconnaissance d’un peuple latin et oriental qui, par ses qualités comme par ses défauts, diffère si profondément de son souverain. Il est dans le destin des Hohenzollern de fonder des œuvres artificielles, paradoxales, qui cependant durent, parce qu’ils les édifiant sur la force, l’ordre et la discipline. Cette association d’un prince étranger à une jeune nation orientale a réussi à la Roumanie comme à la Bulgarie. Avec deux tempéramens très dissemblables, le fils de la princesse Clémentine et celui du prince Antoine ont rendu à leurs patries d’adoption un service de même nature ; ils ont glorieusement contribué à faire d’elles des nations que l’on respecte et qui peuvent regarder le présent avec sécurité et l’avenir avec espérance.