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III

Carol Ier porte le titre de roi de Roumanie ; mais il arrive parfois que ses sujets, dans leur enthousiasme patriotique, le saluent du titre de roi des Roumains. Tout un programme tient dans cette différence d’appellation, toute l’espérance d’une plus grande. Roumanie où entreraient tous les Roumains. La Roumanie a ainsi deux politiques : l’une réaliste, ostensible, immédiate, purement conservatrice ; l’autre plus chimérique, moins précise, plus secrète, plus aventureuse. La seconde, sortie de l’imagination populaire plutôt que des méditations des hommes d’Etat, prépare de loin une extension de la Roumanie dans les limites de l’aire occupée par la race roumaine. Si une bonne occasion se présentait, si quelque Etat voisin venait à traverser une crise grave et se trouvait menacé de dislocation, la Roumanie aurait, au bon moment, des revendications nationales à produire ; elle est entourée de plusieurs « Roumanie non rachetées » qui peuvent lui fournir, le cas échéant, des occasions favorables d’intervention ou d’échange.

C’est parmi les colonies les plus éloignées du noyau principal de la race que le gouvernement roumain a fait jusqu’ici la plus active propagande. Au temps où les peuples chrétiens de la péninsule semblaient croire que la succession des Turcs, en Macédoine, allait bientôt s’ouvrir et s’en disputaient par avance les morceaux, Bulgares, Serbes et Grecs faisaient valoir leurs prétentions à l’héritage. Les Roumains s’avisèrent un jour que, dans les épais massifs de montagnes de l’Albanie méridionale et de la Macédoine vivent des pasteurs qui parlent une langue dérivée du latin, très proche parente du roumain, qui se nomment eux-mêmes Tsintsars et que les Grecs appellent Koutzo-Valaques (Valaques boiteux)[1]. La politique roumaine comprit tout le parti qu’elle pouvait tirer de ces « frères séparés ; » elle organisa parmi les Valaques du Pinde une propagande qui tendait à séparer de l’hellénisme les populations de

  1. Voyez, sur ces Koutzo-Valaques et sur la propagande roumaine, la Revue du 15 mai 1907, ou notre livre : l’Europe et l’Empire ottoman, p. 132. Certains auteurs roumains comptent en Turquie d’Europe un million de Valaques parlant roumain ; à en croire les statistiques serbes, bulgares, ou turques, ils seraient 70 000 ; d’après les Grecs, on n’en compterait que quelques milliers.