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avait en lui un Breton doublé d’un Gascon : Chateaubriand aurait pu déjà tenir ce langage.

S’il paraît bien établi que René n’a pu voir la patrie d’Atala, il est du moins assez vraisemblable qu’après une longue traversée et plusieurs relâches aux Açores, à Terre-Neuve et à l’île Saint-Pierre, il explora en partie la région qui s’étend de Baltimore jusqu’au Niagara. Peut-être aussi vit-il quelques sauvages. Mais surtout, mis en goût déjà par les suggestives descriptions du P. Charlevoix, il recueillit sur place des impressions de nature qui, fécondées par diverses lectures, celle du voyageur Bartram, entre autres, donnèrent l’éveil à son génie de peintre et lui inspirèrent ses premiers chefs-d’œuvre. Quand, au mois de décembre 1791, à la nouvelle de l’arrestation du Roi à Varennes, obéissant à l’obscure poussée de son loyalisme breton, il se résout brusquement à rentrer en France, il n’a sans doute pas « vu les royaumes de la solitude, » mais il a noirci beaucoup de papier, et sa palette de grand écrivain est toute prête.


II

Un vent de tempête le poussa rapidement sur les côtes de France, et, après un demi-naufrage, — qui ne fut point perdu pour la littérature, les Natchez et les Martyrs en sont la preuve, — il débarqua au Havre, le 2 janvier 1792. Sans grand enthousiasme, et pour faire comme ceux de son monde, il se décida à émigrer. Mais auparavant, et pour faire plaisir aux siens, il accomplit avec une rare légèreté un acte dont la gravité semble lui avoir toujours échappé : pauvre, « tourmenté de la muse, » ne se sentant d’ailleurs « aucune qualité du mari, » il se laissa marier plus qu’il ne se maria avec une jeune fille qu’on croyait assez riche, « blanche, délicate, mince et fort jolie, » Mlle de la