Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/815

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

abominables spectacles » que nous offre l’histoire de la Réforme ? « Parce qu’un moine s’avisa de trouver mauvais que le Pape n’eût pas donné à son ordre plutôt qu’à un autre la commission de vendre des indulgences en Allemagne. » « Enfin le Régent parut, et de cette époque il faut dater presque la chute totale du christianisme. » Et Chateaubriand de conclure dans une note de son Exemplaire confidentiel : « Cette objection est insoluble et renverse de fond en comble le système chrétien. Au reste, personne n’y croit plus[1]. »

Assurément, il n’y croit plus lui-même, à ces « hochets sacrés, » comme il les appelle ; mais il serait d’ailleurs assez embarrassé d’exposer sa propre croyance. Dans une "même page, il loue Pythngore et ses « sublimes notions de la divinité, » et il parle des « absurdités du spinozisme ; » ailleurs, à la suite des stoïciens, il justifie le suicide[2]. Ses notes de l’Exemplaire confidentiel nous le montrent singulièrement sceptique à l’égard de l’immortalité de l’âme, et inclinant même à l’athéisme[3]. Mais dans tout cela, rien de ferme et de définitivement arrêté. On sent un esprit disputé entre des influences et des doctrines contradictoires, une pensée qui n’a pu faire encore l’unité en elle-même, une âme désemparée, flottante, et qui, parmi ses négations et ses doutes, cherche visiblement où se prendre.

C’est qu’en effet ce disciple des Encyclopédistes oublie bien souvent les leçons qu’ils lui ont inculquées. S’il est plein de Raynal, il est plein aussi et surtout de Rousseau, — pour la personne et l’œuvre duquel il n’a pas assez d’hyperboles[4], — et de Bernardin de Saint-Pierre, dont il admire très sérieusement « le génie mathématique. » A leur école à tous deux, il a

  1. Essai, p. 589, 569, 590, 530, 582, 587.
  2. Essai, p. 427, 387, 497.
  3. « Quelquefois je suis tenté de croire à l’immortalité de l’âme ; mais ensuite la raison m’empêche de l’admettre. D’ailleurs, pourquoi désirerais-je l’immortalité ?… Ne désirons donc point survivre à nos cendres, mourons tout entiers, de peur de souffrir ailleurs. Cette vie-ci doit corriger de la manie d’être. » (p. 565). — « Voilà mon système, voilà ce que je crois. Oui, tout est chance, hasard, fatalité dans ce monde, la réputation, l’honneur, la richesse, la vertu même ; et comment croire qu’un Dieu intelligent nous conduit ? Voyez les fripons en place, la fortune au scélérat, l’honnête homme volé, assassiné, méprisé. Il y a peut-être un Dieu, mais c’est le dieu d’Épicure ; il est trop grand, trop heureux pour s’occuper de nos affaires, et nous sommes laissés sur ce globe à nous dévorer les uns les autres. » (p. 536).
  4. Voyez Essai, p. 269, 270, 271, 302, 319, 342, 343-345, note ; 394, 395, 398, 399 et note 3 ; 401, note a ; 404, 459, 511, 321, 553-557, et les notes ; 559, 584 et notes a et d ; 605, note ; 619 et note.