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en Orient, Corot en Italie, les autres à tous les bouts de la France, en Provence et en Bretagne, en Normandie et en Auvergne, l’avait déjà, on le voit, conduit hors de la banlieue. En 1826, il explore la forêt de Compiègne. En 1828, il part en Normandie, pour y rejoindre Boninglon ; mais celui-ci est déjà si malade qu’il ne peut l’attendre, doit se faire transporter à Paris, puis à Londres où il meurt. C’est sous le coup de celle tristesse que Huet voit la mer pour la première fois. Aussi la rencontre-t-il, d’abord, avec plus de surprise que de joie ; mais bientôt, à Honfleur, lorsqu’il assiste aux assauts tumultueux des hautes marées, il tremble et admire ; il voudrait « trouver des expressions neuves pour peindre les masses d’eau soulevées par l’on ne sait quel pouvoir, ouvrant un gouffre et se refermant par un choc violent qui semble saisir une proie. Celui qui pourra l’exprimer sur la toile sera un peintre. » De cette première impression, longuement et patiemment mûrie par le rêve méditatif d’une imagination tenace, sortiront plus tard toutes ces tragédies maritimes, la Grande Marée d’Equinoxe, les Brisans à Granville, etc. De même, de ses impressions juvéniles, dans le Parc de Saint-Cloud inondé, sortira, après une longue gestation, son chef-d’œuvre, l’Inondation à Saint-Cloud. Il semble que, durant toute sa vie, cette force mystérieuse des eaux, ensorcelante, formidable et irrésistible, l’ait tourmenté comme autrefois Léonard de Vinci, par tous les problèmes multiples qu’elle propose à l’art du dessinateur et du peintre ainsi qu’à la pensée du savant et du philosophe. Les nombreuses études qu’il en fit à cette époque, et plus tard, à Fécamp, à Honfleur, au Tréport, soit à l’huile, soit à l’aquarelle, attestent son émotion persistante et son observation consciencieuse devant ces phénomènes.

Son activité, durant cette période, est extraordinaire. Il est pauvre, toujours pauvre, et, de plus, malade. Une fièvre maligne (typhoïde ou bilieuse) l’a mis à deux doigts de la mort ; il s’en relève avec peine et, durant plusieurs années, souffrira constamment des désordres qu’elle lui a laissés dans les fonctions digestives. Malgré tout, il ne chôme guère. Ouvert à tous les progrès, curieux de toutes les innovations, dès 1825, il s’était exercé à la lithographie, art munichois récemment importé par le comte de Lasteyrie et pratiqué tout de suite par Géricault, Charlet, Bonington, Delacroix. Dès 1827, il en publie plusieurs