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Beaux-Arts et dont l’ensemble assura encore à leur auteur un grand succès international à l’Exposition universelle de 1867.

Par malheur, ce succès public ne fut pour l’artiste qu’une cause nouvelle de désillusions, de déboires, d’irritations de toute espèce. Les applaudissemens des artistes et de la critique, les consolations, si multiples et si tendres, apportées par tous ses illustres admirateurs, ne purent le consoler de la scandaleuse indifférence du Jury et de l’Administration à son égard. Il se crut noté à la préfecture de police comme « déporté à l’intérieur. Homme très dangereux !… un de ces affreux romantiques, victime désignée qui fait crier : « Tue ! tue ! » par ceux qui ne se doutent pas de ce que le mot veut dire. » Le fait est qu’il y avait déjà plusieurs années qu’assistant au succès croissant des anecdotes spirituelles, des mythologies mondaines ou des fades imageries religieuses, d’un naturalisme méticuleux ou brutal, sans aucune imagination et sans poésie, tous les survivans de la grande armée se sentaient démodés et dépaysés. « Nous visions en haut, autrefois, s’écrie Delacroix ; heureux qui pouvait y atteindre ! La taille des lutteurs d’aujourd’hui ne leur permet même pas d’en avoir la pensée. Leur petite vérité étroite n’est pas celle des maîtres. Ils la cherchent terre à terre avec un microscope. »

Durant ces dernières années, la correspondance de Huet devient encore plus expansive et confidentielle, plus abondante que jamais en détails curieux et piquans, sur son entourage, artistes et écrivains, et sur les événemens contemporains. C’est alors aussi qu’il rédigea sans doute ou classa six notes sur l’Art en général, la Peinture de Paysage, le Paysage décoratif recueil d’observations, réflexions, théoriques et techniques, très utiles également à consulter. A la fin de 1868, il marie sa fille bien-aimée, en croyant assurer son bonheur. « Quel cruel retour, nous dit son fils, préparaient ces douces illusions ! » Durant l’automne, il peint et dessine assidûment encore en Normandie et à Fontainebleau. Mais des idées noires le travaillent. Rentré à Paris, il embrasse sa fille partant pour l’Italie. Le 8 juin 1869, il avait travaillé toute la journée, fait une visite à Pailleron, dîné en famille ; il s’était endormi d’un sommeil calme. A trois heures du matin, sa femme et son fils le trouvèrent mort dans son lit : « D’une congestion, d’un anévrisme, d’une embolie ?… Mort de chagrin. »