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assigner des chaires nombreuses et permanentes. Il faut voir les choses telles qu’elles sont. Les hommes réellement capables de suffire à de tels enseignemens seront toujours fort rares. Lorsqu’il s’en rencontre qui offrent les garanties de savoir et de talent qui sont nécessaires, on doit s’empresser de profiter de ce qu’ils sont là, sans leur demander ni grades ni antécédens universitaires. Et quand l’un d’eux vient à disparaître, on ne doit pas se croire obligé de lui trouver immédiatement un successeur. Cela revient à dire que la rigidité du système universitaire ne convient pas aux enseignemens de ce genre ; leur place ne peut être qu’au Collège de France.

Ces observations nous conduisent à une dernière considération qui est capitale pour déterminer le rôle et la raison d’être de ce grand établissement. Si son existence est nécessaire à la prospérité et au développement de certaines sciences, elle ne l’est pas moins pour mettre en lumière la valeur de certains hommes et pour leur donner le moyen de rendre d’éminens services. Bien entendu, c’est uniquement de l’intérêt public qu’il doit être question ici. Mais il est évident qu’un homme de talent, qui s’est montré capable d’ouvrir à la recherche du vrai des voies nouvelles, est une « valeur intellectuelle » que la société ne pourrait dédaigner sans se faire tort à elle-même. Fournir à de tels hommes les moyens de poursuivre leurs recherches, de développer leurs méthodes, de les faire connaître largement et d’associer à leurs travaux ceux qui peuvent en tirer avantage, c’est pour elle un profit certain. Mais pour qu’elle puisse le faire librement, il importe qu’elle ne soit pas gênée par un ensemble de règlemens et de conditions qui risqueraient d’exclure les meilleurs. A coup sûr, les grades exigés des professeurs des Universités sont d’une manière générale une garantie excellente, qu’aucune autre ne pourrait remplacer dans la majorité des cas. Seulement, comme toutes les garanties possibles, celle-ci est en même temps une barrière. Or il n’est pas bon de mettre des barrières partout. L’histoire du Collège de France Ta surabondamment démontré. Dans la liste de ses professeurs, nombreux sont les hommes de grand mérite qui n’auraient pu enseigner dans les Universités, faute de satisfaire aux conditions requises, et qui ont été, cependant, des créateurs de méthodes, des initiateurs, des maîtres justement renommés. C’est grâce au Collège surtout que notre enseignement supérieur a échappé au danger